« Solennels parmi les couples sans amour, ils dansaient, d'eux seuls préoccupés, goûtaient l'un à l'autre, soigneux, profonds, perdus. Béate d'être tenue et guidée, elle ignorait le monde, écoutait le bonheur dans ses veines, parfois s'admirant dans les hautes glaces des murs, élégante, émouvante, exceptionnelle, femme aimée, parfois reculant la tête pour mieux le voir qui lui murmurait des merveilles point toujours comprises, car elle le regardait trop, mais toujours de toute son âme approuvées, qui lui murmurait qu'ils étaient amoureux, et elle avait alors un impalpable rire tremblé, voilà, oui, c'était cela, amoureux, et il lui murmurait qu'il se mourait de baiser et bénir les longs cils recourbés, mais non pas ici, plus tard, lorsqu'ils seraient seuls, et alors elle murmurait qu'ils avaient toute la vie, et soudain elle avait peur de lui avoir déplu, trop sûre d'elle, mais non, ô bonheur, il lui souriait et contre lui la gardait et murmurait que tous les soirs ils se verraient. » Ariane devant son seigneur, son maître, son aimé Solal, tous deux entourés d'une foule de comparses : ce roman n'est rien de moins que le chef-d'oeuvre de la littérature amoureuse de notre époque.
Ce livre bouleversant qu'après un long silence nous offre l'auteur de solal et de mangeclous est l'évocation d'une femme à la fois " quotidienne " et sublime, une mère, aujourd'hui morte, qui n'a vécu que pour son fils et par son fils.
Ce livre d'un fils est aussi le livre de tous les fils. chacun de nous y reconnaîtra sa propre mère, sainte sentinelle, courage et bonté, chaleur et regard d'amour. et tout fils pleurant sa mère disparue y retrouvera les reproches qu'il s'adresse à lui-même lorsqu'il pense à telle circonstance oú il s'est montré ingrat, indifférent ou incompréhensif. regrets ou remords toujours tardifs. " aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra et tous les fils se fâchent et s'impatientent contre leurs mères, les fous si tôt punis.
" mais il faut laisser la parole à albert cohen. " allongée et grandement solitaire, toute morte, l'active d'autrefois, celle qui soigna tant son mari et son fils, la sainte maman qui infatigablement proposait des ventouses et des compresses et d'inutiles et rassurantes tisanes, allongée, ankylosée, celle qui porta tant de plateaux à ses deux malades, allongée, et aveugle, l'ancienne naïve aux yeux vifs qui croyait aux annonces des spécialités pharmaceutiques, allongée, désoeuvrée, celle qui infatigablement réconfortait.
Je me rappelle soudain des mots d'elle lorsqu'un jour quelqu'un m'avait fait injustement souffrir. au lieu de me consoler par des mots abstraits et prétendument sages, elle s'était bornée à me dire : " mets ton chapeau de côté, mon fils, et sors et va te divertir, car tu es jeune, va, ennemi de toi-même. " ainsi parlait ma sage maman.
Au premier plan de ce roman très romanesque, l'étincelant solal, une sorte de seigneur juif venu d'orient, et les deux chrétiennes, adrienne et aude.
En retrait, mais fortement illuminé et enluminé, un choeur charmant de ghetto méditerranéen, les cinq valeureux, beaux parleurs, brouillons et passionnés, ingénus, chimériques. mais bien d'autres êtres, venus d'autres contrées, circulent dans cette épopée aux longues trajectoires, traversée çà et là par la houle d'un grand rire.
Les aventures abondent. de l'île grecque oú il est né, solal s'enfuit à seize ans avec adrienne, la femme du consul de france.
Et c'est le début d'une vie riche en brusques changements, en joies inouïes, en défaites, en victoires. solal traverse l'europe. misère. evasion de la misère. l'éternel banni conquiert et devient, pour un temps, un puissant de ce monde.
Mais dans les souterrains du château oú solal, ministre français, vit avec aude, sa femme, d'étranges chants se font entendre. un monde mystérieux se cache sous cette demeure d'europe.
A la vérité, cette saga foisonnante, riche en péripéties, sans cesse en mouvement et en action, est loin d'être simple.
Coffret de deux volumes vendus ensemble, comprenant Belle du Seigneur et Oeuvres.
«Un enfant juif rencontre la haine le jour de ses dix ans. J'ai été cet enfant.»Albert Cohen.
Sont-ils dieux, sont-ils hommes, ces Valeureux sur qui le temps est sans pouvoir et qui changent en rêve tout ce qu'ils touchent? Ivres de soleil, celui d'Israël et celui de la Grèce, plus ivres encore des mots qui leur viennent aux lèvres, ils ont traversé Solal, Mangeclous et Belle du Seigneur sans prendre une ride ni gagner une once de sagesse. Rien n'égale leur malice si ce n'est leur naïveté. Dérisoire Olympe infiniment bavard, éternels enfants, les voici tels qu'ils sont à jamais. Si Mangeclous décide de mettre fin à ses jours, on demeure assuré qu'il décidera peu après de joyeusement survivre ou de ressusciter. S'il fonde une Université, dont il est le recteur et tous les professeurs, elle sera sans lendemain. La fortune attend peut-être les Valeureux à Genève. Ils se jettent dans le voyage avec un enthousiasme et une incompétence également exemplaires. Mais qu'on y prenne garde, ces témoins d'un peuple chassé de l'Histoire, figés dans le rire comme ils le furent dans la douleur, ont à nous enseigner une vérité essentielle. Et la voix du prince des Solal ou de leur créateur, celle d'Albert Cohen, intervient pour nous le rappeler. En ce monde mortel, il n'est de grave que ce rapport tendre et heureux entre les hommes que l'on nomme Amour. Tout le reste est supercherie. Les Valeureux sont là pour le prouver.
Peu de lecteurs de Belle du Seigneur, en 1968, savaient que ce roman était le dénouement d'un cycle inauguré en 1930 avec un premier chef-d'oeuvre, Solal, prolongé par Mangeclous en 1938 et achevé en 1969 avec la publication, à contretemps, des Valeureux... Quarante ans d'aléas éditoriaux avaient fait perdre de vue la continuité chronologique du récit et, plus encore, son unité d'inspiration. Rassemblant pour la première fois en un volume cette tétralogie avec le titre que son auteur aurait voulu lui donner, Solal et les Solal, cette édition Quarto invite à relire d'un oeil neuf une oeuvre d'exception, à mieux en mesurer le rythme, à savourer l'équilibre entre les volets dramatiques (le scénario obsédant de l'ascension et de la chute du héros) et comiques (l'univers burlesque de Mangeclous et des siens), la fantaisie baroque et la veine satirique, le souffle épique et la tentation lyrique. À travers la vie aventureuse de «Solal des Solal», enfant prodigue du ghetto à la poursuite d'un rêve d'Europe, se déploie une ample méditation sur le destin juif, la culture occidentale, l'amour et la condition humaine, servie par une prose généreuse et inventive qui ne se refuse aucune audace. L'édition de Philippe Zard offre un important appareil critique qui reconstitue le contexte culturel de l'oeuvre, et élucide, dans de riches notes, les références littéraires, bibliques, artistiques et religieuses, les allusions à des événements ou des personnages historiques, les mots rares et les régionalismes. Les présentations des romans mettent en lumière la teneur politique et philosophique de l'oeuvre, ainsi que les tensions et les contradictions qui la nourrissent:«Cohen est un écrivain juif comme Césaire est nègre et Claudel catholique:ces adjectifs portent, idiomatiquement, le tout de la question humaine» («Solal et les Solal:le roman introuvable»).
Ce second - et dernier - volume des OEuvres d'Albert Cohen dans la Pléiade permet au lecteur de retrouver l'univers de Solal et de Belle du Seigneur.
Premier élément de l'édifice, Solal paraît en 1930. En 1938, Mangeclous est présenté par l'auteur comme le deuxième volume d'une série qui s'intitulerait Solal et les Solal et dont le troisième volume, alors en préparation, est annoncé sous le titre de Belle du Seigneur. En 1968 paraît enfin Belle du Seigneur, suivi dix-sept mois plus tard des Valeureux. Ces deux derniers volumes ne devaient en former qu'un. C'est à la demande de son éditeur qu'Albert Cohen scinde l'ouvrage en deux livres indépendants.
Centrale dans l'oeuvre d'Albert Cohen et chère à l'écrivain - qui aimait à raconter comment l'histoire de Solal avait d'abord été dictée à une «merveilleuse amie» pour lui plaire - la geste de Solal atteint à la grandeur par son mépris des limites. Principal acteur d'une histoire qui n'a ni commencement ni fin, Solal a la beauté insolente des héros d'Homère, lui qui peut mourir et se lever et qui, reprenant le départ, a le pouvoir de regarder le soleil «face à face».
«Mangeclous est un vaste roman jovial et gaillard - mais dont la belle humeur est veinée d'humanité et de mélancolie. Comme dans Solal, un des lieux de l'action est l'île grecque de Céphalonie et son curieux ghetto. Les Juifs de Cohen ne sont pas ceux de Zangwill. Ce sont de bienheureux naïfs qui participent à la joie d'un climat lumineux, d'une mer tiède et d'un ciel bienveillant. Dans cette foule grouillante se détache un merveilleux quintette, les Valeureux, tous des Solal, issus de Juifs originaires de Provence mais installés à Céphalonie depuis des générations. Beaux parleurs, brouillons et passionnés, paresseux, menteurs, ingénus, universellement incompétents, naïvement amoureux de la France qui est demeurée leur patrie et dont ils parlent la langue. Dans Solal, les Valeureux ne jouaient qu'un rôle de second plan. Dans Mangeclous, ils ont pris la meilleure place. Ils y folâtrent et s'en donnent à coeur joie. L'écrivain épouse l'âme de sa race en des scènes et des dialogues d'une vérité comique irrésistible. Le famélique Mangeclous, l'homme aux cent métiers, est un faux avocat, toujours en quête de nourritures et de profits. Truculente figure que ce grandiose menteur doué d'une éloquence torrentielle et d'une faim implacable. À Céphalonie il vaque avec passion à des occupations chimériques, sublimes et commerciales, pieds nus mais en chapeau haut de forme, toujours toussant - et avec une vigueur qui met à mal les vitres des fenêtres. Mais un jour, un mystérieux cryptogramme arrive à Céphalonie, et Mangeclous s'embarque, accompagné de ses amis. C'est alors que commence une série d'aventures extravagantes et hilarantes, à Genève entre autres. Car il n'y a pas que le ghetto de Céphalonie dans ce livre. Il y a les milieux de la Société des Nations où les Valeureux ne manquent pas de pétarader et de faire de la haute politique - milieux dépeints avec un humour délectable. Il y a les Deume dont la quiète et terrible vie bourgeoise est décrite avec une tendre férocité. Il y a Solal qui, quoique tenu momentanément dans l'ombre par l'auteur, est toujours le solaire et solitaire, l'étincelant - un personnage nouveau dans la littérature. Il y a l'étrange et adorable Ariane à laquelle Solal porte un intérêt bizarrement exprimé. Et Scipion, le plus menteur des Marseillais. Et bien d'autres. Ce serait trahir que de résumer en si peu d'espace l'action de Mangeclous. Qu'il suffise de dire que rien, dans le roman contemporain, ne saurait se comparer à cette rieuse épopée.» Georges Altman.
Ce journal va du 3 janvier au 2 septembre 1978. Albert Cohen a quatre-vingt-trois ans. Sa fin, dont il sent l'imminence, l'oblige soudain à ramasser par fragments incantatoires ses méditations obsessionnelles:l'enfant Albert Cohen fou d'amour pour sa mère, le lycéen de Marseille fou d'amitié pour son condisciple Marcel Pagnol, le jeune homme fou des femmes qu'il nomme ses «merveilles», enfin le vieil homme fou du peuple d'Israël et d'un Dieu auquel il aspire à croire mais qui refuse sa délirante prière.Dans cet ensemble d'invocations quasi rythmées où la violence, la cruauté, la tendresse le disputent à l'humour, Albert Cohen s'abandonne à la hantise d'une mort dont le thème, depuis ses débuts en littérature, double toujours d'obscurité ses oeuvres les plus radieuses.