Derrière la façade mystérieuse de ces plantes ou de ces animaux bizarres n'appartenant ni à nos familles, ni à nos catégories, se dissimulait-il quelque part le double de cet étranger dont nous nous sommes crus les seuls détenteurs et qui, déposant parfois son sourire sur un de nos visages, nous a permis d'entrevoir les audaces de l'âme quand elle veut bien devenir l'âme humaine ?
Comme pour l'Intouchable, le succès d'estime des Fables fraîches pour lire à jeun ne s'essouffle pas au fil des ans. Il rassemble avec un art du raccourci saisissant le meilleur de l'humour et de la fantaisie de son auteur. Cet ensemble de nouvelles courtes tirées des plus savoureux recueils des années 40 et 50 que Pierre Bettencourt a imprimé lui-même sur sa propre presse, constitue une palette de situations que le caractère farceur, parfois insolent ou provocateur, mais toujours subtil et élégant de son auteur met en scène pour le plus grand bonheur des amoureux de la langue.
De l'humour, de la distance, de la grâce, un mélange de cruauté et de tendresse qui remet l'Homme à sa juste place dans l'univers qu'il devrait selon lui habiter avec une grande modestie, et comme par effraction.
Mon père est mort en me disant : " au revoir, je vais chasser la baleine.
" Il a tourné la tête et il a rendu le dernier soupir. Il chasse la baleine maintenant, il est heureux. Dans sa chambre on a mis un aquarium et une plante verte. Et son chapeau sur son lit. Je viens dans la pénombre, quand les volets sont fermés, les après-midi d'été, m'asseoir là. Je lui fais la lecture de son livre préféré. Et parfois je m'endors. Moi aussi je chasse la baleine. Il est là, il est heureux de me voir, on l'aura, dit-il, on l'aura, quand le livre tombe.
Je sors de la chambre sur la pointe des pieds tandis que les poissons font des bulles.
Je ne crois pas que l'âme s'en aille tout à coup du corps au moment de la mort.
Mais je crois plutôt que c'est parce qu'elle a fini de s'en aller qu'on meurt. Toute la vie l'âme s'en va comme de la lumière nous composer une réserve dans quelque caisse d'épargne de l'espace. On meurt comme on passe à la caisse. P. B.