«Il restera les livres, disait Jorge Semprun. Les récits littéraires, du moins, qui dépasseront le simple témoignage, qui donneront à imaginer, même s'ils ne donnent pas à voir... Il y aura peut-être une littérature des camps... je dis bien:une littérature, pas seulement du reportage...»Les textes réunis dans ce volume ont été écrits entre 1946 et 1994 par des survivants des camps nazis. Ces survivants partagent un même dessein:témoigner de l'expérience qui a été la leur, la rendre mémorable dans une langue - le français - qu'ils ont reçue en héritage ou dont ils ont fait le choix. Moins en rapportant des épisodes extrêmes, des moments limites, qu'en rendant compte de l'ordinaire du temps concentrationnaire, sur quoi la mort règne et dans lequel s'effacent les formes et figures de l'humain.Tous constatent que les mots manquent pour exprimer une telle insulte à l'espèce humaine. «On ne se comprenait pas» (Antelme). «Il n'y a rien à expliquer» (Cayrol). L'écriture touche là aux limites de son pouvoir. Dans une entreprise de cet ordre, impossible de satisfaire aux exigences de transparence et de véridicité généralement associées au langage quand il se fait témoignage. Pour que l'indéchiffrable monde des camps échappe, si peu, si partiellement que ce soit, à l'incommunicable, pour que quelque chose existe qui relève de la transmission, chacun de ces écrivains doit explorer l'envers du langage et approfondir la «réalité rêvée de l'écriture» (Semprun). C'est à «la vérité de la littérature» (Perec) qu'il revient de préserver la vérité de la vie.Littérature. Le mot peut paraître sans commune mesure avec l'objet de tels récits. Il ne choquait pas leurs auteurs. C'est que la part littéraire ne relève pas chez eux d'un savoir-faire ou d'une rhétorique, moins encore d'un désir d'esthétisation. Mais d'un souci éthique de la forme, d'une morale du style. Antelme:«il faut beaucoup d'artifice pour faire passer une parcelle de vérité.» Semprun:« Raconter bien, ça veut dire :de façon à être entendus. On n'y parviendra pas sans un peu d'artifice. Suffisamment d'artifice pour que ça devienne de l'art!» Permettre d'imaginer l'inimaginable, rendre le lecteur sensible à une vérité aussi inconcevable exige une profonde réélaboration de la réalité.C'est en cela que les livres ici réunis sont des chefs-d'oeuvre de la littérature du second XX? siècle. Et c'est pour cela que les qualifier de chefs-d'oeuvre de la littérature ne les disqualifie pas, ne les rend pas inférieurs à la fonction que leur ont assignée leurs auteurs:témoigner d'«une catastrophe qui a ébranlé les fondements mêmes de notre conscience» (Cayrol).C'est bien à la littérature - ici non pas truchement de l'illusion, mais instrument de la vérité - que ces survivants, ces
Né il y a trois siècles au Japon, le haiku est la forme poétique la plus courte du monde. Art de l'ellipse et de la suggestion, poème de l'instant révélé, il cherche à éveiller en nous une conscience de la vie comme miracle. De Bashô jusqu'aux poètes contemporains, en passant par Buson, Issa, Shiki et bien d'autres, Haiku est la première anthologie à présenter un panorama complet de ce genre littéraire, en lequel on a pu voir le plus parfait accomplissement de l'esthétique japonaise.
« Pourquoi aimons-nous le haiku ? » interrogent les préfaciers de ce livre. « Sans doute pour l'acquiescement qu'il suscite en nous, entre émerveillement et mystère. Le temps d'un souffle (un haiku, selon la règle, ne doit pas être plus long qu'une respiration), le poème coïncide tout à coup avec notre exacte intimité, provoquant le plus subtil des séismes. Sans doute, aussi, parce qu'il nous déroute, parce qu'il nous sort de notre pli, déchirant une taie sur notre regard, rappelant que la création a lieu à chaque instant. Peut-être, enfin, parce qu'il sait pincer le coeur avec légèreté. Rien de pesant, rien de solennel, rien de convenu. Juste un tressaillement complice. Une savante simplicité. »
Héritée d'une tradition païenne antique, ancrée dans l'opposition et la résistance des Bretons à l'envahisseur germanique, chantée par les bardes dans un dialecte celtique, la légende arthurienne prend corps au IX? siècle, en terre galloise, dans les récits en latin et en prose. C'est à partir de 1130 que l'histoire légendaire de ce roi vaillant et brave, chef charismatique et incontesté, personnage fabuleux et victorieux, connaît un écho retentissant auprès du public, à travers toute l'Europe, grâce à l'ambitieuse chronique du clerc anglais Geoffroi de Monmouth, Histoire des rois de Bretagne. À sa suite, en particulier sous l'impulsion de Chrétien de Troyes, le roman arthurien s'enrichit de nombreux épisodes des aventures du roi et de ses compagnons chevaliers:exploits prodigieux, conquêtes amoureuses, quête du saint Graal...À la lumière de l'histoire culturelle, sociale et politique du Moyen Âge et de ses images (enluminures, sceaux, armoiries...), cette édition propose de mieux comprendre la transformation de la matière dite de Bretagne en l'une des plus grandes légendes de tous les temps.Cycle sans égal inscrit au patrimoine littéraire mondial, la légende arthurienne n'a cessé de nourrir toutes les formes de la création - des récits de Chrétien de Troyes aux opéras de Wagner, aux beautés préraphaélites, jusqu'au nonsense des Monty Python... - et de hanter notre imaginaire.
L'île rebelle permet de saisir l'ampleur et les nombreuses particularités de la poésie des dernières décennies d'Angleterre, de Galles et d'Écosse, constituant l'anthologie de référence en édition bilingue pour la poésie britannique contemporaine. La poésie britannique, aux antipodes du symbolisme et du formalisme hexagonaux, est le plus souvent narrative et discursive et plus encline à solliciter l'humour ou le registre social. Un humour au reste essentiellement assumé par les femmes qui représentent près du tiers des auteurs ici retenus.
En 313, Constantin, empereur chrétien, accorde la liberté de culte à toutes les religions; nul ne sera plus contraint de vénérer l'empereur à l'égal d'un dieu. En 391-392, Théodose, empereur très chrétien, interdit les cultes païens. Le monde a basculé. Ce qui est en cause, ce ne sont pas seulement des croyances et des cultes, mais toute une civilisation fondée sur la paideia - la culture, les moeurs et les pratiques de la Rome éternelle. C'est en ce sens que les historiens réunis dans ce volume peuvent être dits païens:nourris à l'antique paideia, ils en partagent toujours les valeurs. Ils écrivent entre 360 et 394 (avant 408 pour l'auteur des Vies et moeurs des empereurs) sous les règnes de princes chrétiens, occupent des postes importants, proches du pouvoir, et, par force, s'avancent masqués.De belles carrières restent ouvertes à ces lettrés, émules de Tite-Live, de Suétone ou de Tacite; les empereurs chrétiens ne peuvent se passer d'eux. Les lois de 391-392 ne les réduisent pas au silence, mais ils sont assez lucides pour comprendre jusqu'où ils peuvent aller dans leur éloge du passé. La plupart évitent prudemment de parler du christianisme. L'Histoire Auguste, elle, s'autorise des moqueries, des parodies des Évangiles ou des Pères de l'Église, des allusions plus ou moins voilées. Le livre - trente vies d'empereurs, à partir d'Hadrien - est truffé d'indices révélant à des lecteurs choisis le fond de la pensée de son auteur, écrivain dissimulé, semet ridente, «souriant dans son for intérieur».Cet auteur pourrait passer pour le digne successeur du Suétone des Douze Césars. Il a du goût pour les frivolités d'alcôve, les anecdotes à portée moralisante, les prodiges et les oracles. Mais il se révèle en outre particulièrement imaginatif. L'Histoire Auguste n'est pas une oeuvre historique au sens moderne du terme:elle enrichit son récit par tous les moyens qu'offre l'écriture romanesque, jusqu'à effacer les frontières entre histoire et fiction. C'est l'occasion de savoureux morceaux de bravoure, d'autant plus soignés littérairement qu'ils sont historiquement douteux.Histoire sans autorité donc, mais pleine de vie et finalement de vérité:une oeuvre personnelle et sensible sur l'âge d'or du paganisme et sur son déclin. «Une effroyable odeur d'humanité monte de ce livre», disait Marguerite Yourcenar, qui y avait trouvé la matière des Mémoires d'Hadrien. Cette humanité en désarroi, c'est celle des païens qui assistent impuissants à la dissolution du monde auquel ils tiennent et appartiennent. À la bataille de la Rivière froide, en 394, les armées de Théodose affrontent l'usurpateur Eugène et le général Arbogast, soutenus par le parti païen. Théodose vainqueur, certains vaincus se donnent la mort. Parmi eux, Nicomaque Flavien senior, aristocrate, préfet du prétoire d'Italie, probable auteur de l'énigmatique Histoire Auguste.
Éditorial:Maud Simonnot, «Parce que nous ne pensons pas que les revues appartiennent, comme on l'entend parfois, à une époque révolue...»La Nature:Erri De Luca, NatureRichard Powers - Nathacha Appanah, ConversationAnton Beraber, Flore de la Grande Ceinture OuestKatrina Kalda, Forêts et frontièresChristophe Bataille, FaonThomas Lévy-Lasne - Aurélien Bellanger, Peindre la natureFabienne Raphoz, La Nature, voilà mon paysHamedine Kane, Le paradis perdu des PeulsÉrik Orsenna, Le rendez-vous de l'OcéanCatherine Siméone - Catherine Larrère, L'éthique environnementaleJacques Réda, Du vent dans les arbresProust 1922-2022:Yannick Haenel, Le sable magiqueMaud Simonnot, 1922Jean-Yves Tadié, Préface au Journal de Reynaldo HahnViolaine Huisman, La petite robe noireAntoine Compagnon, Marcel Proust, la fabrique de l'oeuvreJulien Syrac, La joie du réel retrouvéBlanche Cerquiglini, Proust au défi des écrivains étrangersAnne Simon, Zoopoétique de ProustDans la bibliothèque de J. M. G. Le Clézio:Maud Simonnot - J. M. G. Le Clézio, Entretien et livres citésCritiques libres:Charles Daubas, «Musicanimale», Philharmonie de Paris (Gallimard)Arthur Larrue, Journal de nage de Chantal Thomas (Seuil)Claire Berest, Les confins d'Eliott de Gastines (Flammarion)Philippe Bordas, Tout Rabelais, sous la direction de Romain Menini (Bouquins)Camille Laurens, La cécité des rivières de Paule Constant (Gallimard)Jakuta Alikavazovic, Le Trésorier-payeur de Yannick Haenel (Gallimard)Laurence Cossé, La vie sans histoire de James Castle de Luc Vezin (Arléa)
Coffret illusté deux volumes vendus ensemble comprenant Dracula et autres écrits vampiriques et Frankenstein et autres romans gothiques
Un choix de poèmes depuis les origines (IIIe s . av. J. -C.) , avec les fragments de Livius Andronicus, jusqu'à Pascal Quignard, auteur en 1976 d' "Inter aerias fagos" . Textes de Plaute, Térence, Cicéron, Lucrèce, Catulle, Virgile, Horace, Tibulle, Properce, Ovide, Sénèque, Lucain, Pétrone, Martial, Stace, Juvénal, Priapées anonymes, choix d'épitaphes ; les poètes païens des IIIe et IVe siècles, dont Ausone et Claudien ; les poètes chrétiens de l'Antiquité et du Moyen Age, Lactance, Hilaire de Poitiers, Ambroise de Milan, Prudence, Sidoine Apollinaire, Boèce, Venance Fortunat, Paul Diacre, Alcuin, Raban Maur, Adalbéron de Laon, Fulbert de Chartres, Pierre le Vénérable, Geoffroy de Monmouth, Alain de Lille, Hélinand de Froidmond ou Thomas d'Aquin ; des hymnes liturgiques, dont le Salve Regina, les poèmes satiriques, moraux ou religieux des Carmina burana, la poésie érotique du Chansonnier de Ripoll ; les poètes de l'humanisme et de la Renaissance, notamment Pétrarque, Boccace, Politien, Erasme, Bembo, l'Arioste, Scaliger ou Giordano Bruno ; les Français Théodore de Bèze ou Joachim Du Bellay ; les Anglais Thomas More ou John Owen ; puis Baudelaire, Rimbaud, Giovanni Pascoli et Pascal Quignard.
Liste non exhaustive.
Au cours de l'été 1816 à la villa Diodati, au bord du Léman, Mary Shelley n'est pas la seule à engendrer une créature de papier monstrueuse. Le médecin de Lord Byron, Polidori, qui participe également au concours d'histoires macabres organisé par son employeur, fait entrer le vampire en littérature. Le Vampire est un texte fondateur qui apporte l'impulsion décisive permettant au genre gothique de donner naissance à l'une de ses modalités les plus spectaculaires : la littérature vampirique. Avant Polidori, le vampire était un vuIgaire revenant cantonné à la tradition folklorique et aux récits légendaires. En faisant de lui un personnage éminemment byronien - aristocratique, désenchanté, séduisant ténébreux -, il invente une figure canonique qui continue d'essaimer aujourd'hui.
Depuis le début du XIXe siècle, la littérature britannique palpitait au rythme de pulsions sanguinaires. Avec la relation ambiguë mais cruellement prédatrice qui unit la très destructrice Géraldine à l'héroïne éponyme de Christabel (1797 et 1800), Coleridge a préparé les sensibilités à une mise en discours explicite de la morsure infligée par un revenant. Robert Southey, dans un épisode de Thalaba (1801), puis Byron, à la faveur d'un passage du Giaour (1813), ont l'un et l'autre franchi un pas symbolique crucial en utilisant non seulement le concept mais le terme de «vampire». Christabel fait l'ouverture de ce volume, où l'on trouvera en appendice des extraits des deux poèmes séminaux de Southey et Byron.
Un autre jalon est posé par Sheridan Le Fanu et Carmilla (1872). Ouvertement saphique, cette nouvelle met en scène un vampire femelle qui envoûte sa proie. La séduction est, littéralement, effrayante, et la prédation létale fait écho aux pulsions sexuelles refoulées de la victime. Un autre écrivain irlandais, Bram Stoker, saura s'en souvenir vingt-cinq ans plus tard. On ne présente plus sa création, le comte Dracula, ce grand saigneur. Reste que les adaptations cinématographiques se sont par trop éloignées de l'oeuvre originelle, et qu'il est bon de revenir au texte de Stoker pour saisir tout ce que son roman a de subversif. Dans Dracula (1897), projection des ténèbres de notre propre nature, la vie et la mort tissent un entrelacs lugubre, et la répulsion et le désir s'entremêlent. Quelques mois plus tard, Florence Marryat publie Le Sang du vampire et propose une variante féminine et insolite du mythe. Née sous le coup d'une malédiction héréditaire, Harriet Brandt, métisse originaire des AntiIles, est douée d'une propension fatale à faire du mal à ceux dont elle s'entiche, et c'est avec gourmandise qu'elle apprécie ses semblables. Autour d'elle, les êtres qui succombent à son charme exotique finissent par succomber tout court, tant ses cajoleries ou ses étreintes épuisent leur vitalité et se révèlent mortelles. Par un glissement sémantique, la jeune fille innocente en mal d'affection vampirise ses proches, et pour ce faire n'a même pas besoin de faire couler le sang.
Pour faire savoir à Yseut qu'il se trouve non loin d'elle, Tristan grave une inscription sur une branche de coudrier. « Ni vous sans moi, ni moi sans vous ! » Le stratagème réussit, les amants s'enlacent. Quand ils sont de nouveau séparés, Tristan compose un lai pour éterniser cet instant de bonheur. Telle est l'origine du Chèvrefeuille de Marie de France, et celle de bien des lais : ils naissent du souvenir d'une émotion.
De Marie de France on sait peu de chose. Elle vécut dans la seconde moitié du XIIe siècle, était liée à la cour d'Aliénor d'Aquitaine, et fut la première femme poète à écrire en langue vernaculaire. Son oeuvre illustre un courant littéraire alors en plein essor, le «lai narratif», qui est en fait un récit, un conte. La floraison du genre correspond à l'apogée des Plantagenêt ; le lai participe à leur rayonnement. Le déclin des lais narratifs coïncidera avec les difficultés politiques de la dynastie.
Le monde des lais est celui du merveilleux, la féerie y surgit à l'improviste. Les chevaux galopent plus vite que ne volent les oiseaux, tel homme se transforme trois jours par semaine en une bête féerique, tel autre épouse le reflet de sa bien-aimée. La fine amor, c'est-à-dire l'amour courtois, est partout présente. Revêtant des formes diverses - féeriques, didactiques, burlesques, proches des fabliaux, voire des fables -, les lais ont en commun le sens de l'image, la musique de la rime, l'art de suggérer, le don d'émouvoir.
Cette édition, où une traduction en français moderne figure en regard du texte anglo-normand, réunit tous les lais narratifs des XIIe et XIIIe siècles. Ceux dont le texte a été perdu sont représentés par la traduction de leur version norroise ou moyen-anglaise.
L'Ouvroir de Littérature Potentielle oeuvre « sous contrainte », la chose est connue. Mais si beaucoup a été écrit sur son travail, jamais autant de textes, aussi divers, n'ont été rassemblés en un volume unique. Il y avait quelque gageure à oser tenter un tel tri : en près de cinq millénaires (car l'Oulipo compte chaque année d'activité pour un siècle), les trente-cinq membres du groupe, et non des moindres (d'ailleurs, il n'y a pas de moindre en son sein), ont créé des milliers d'oeuvres oulipiennes. Mais le défi a été relevé.
Dans cet ouvrage, très complet, les Oulipiens parlent de la ville, de l'amour, des livres, du souvenir. Ces thématiques rendent visibles une cohérence nouvelle, un goût commun pour le jeu virtuose, la mémoire collective et l'humour. Pour le plus grand plaisir du lecteur, la langue, comme le poème a ici kekchose d'extrême.
Un seul roman : il n'en faut pas plus à Horace Walpole pour conduire la sensibilité romanesque de son temps sur de nouvelles voies. Le Château d'Otrante (1764) inaugure le genre du récit gothique, où le passé tient le présent à la gorge et où un Moyen Âge angoissant empiète sur les Lumières. La mixité générique de ce livre fondateur, où le sublime coexiste avec le grotesque en vertu d'un hiatus emprunté à Shakespeare, va essaimer pendant près d'un siècle. Les romanciers gothiques anglais tirent parti de la passion la plus invasive et la mieux ancrée dans la psyché : la peur. Macabres et spectaculaires, situées au coeur de demeures hantées ou de souterrains parsemés d'ossements, leurs histoires doivent produire des émotions extrêmes, en premier lieu la terreur et la pitié. Confronté à la noirceur d'âme de «héros» monomaniaques et déviants prêts à briser tous les tabous (inceste, matricide, viol), le lecteur va de frayeur en horreur avant de compatir aux malheurs des victimes - de sexe féminin pour la plupart. En 1796, Le Moine de M. G. Lewis atteint les sommets en matière de sensationnalisme, avec une forte dimension érotique et mortifère qui fit beaucoup pour le succès de ce roman, toujours actif aujourd'hui. En 1818, la jeune Mary Shelley parachève cette tradition en donnant naissance à une créature monstrueuse qui se nourrit des mythes de Prométhée et de Faust. Elle met en discours un concept inouï : l'assemblage, à partir de morceaux de chair morte, d'un être humain, par le docteur Victor Frankenstein, qui fait fi de la sexualité et de la reproduction biologique. Féconde invention...
Anselme de Cantorbéry : «Je tendais vers Dieu et je suis tombé sur moi-même!» En propageant par l'écrit différents exercices - lecture, méditation, prière, contemplation -, des clercs ont inventé la spiritualité comme un art de l'intériorité, une manière de reconnaître la présence d'une transcendance dans l'intimité humaine. À la fin du XIe siècle, la spiritualité est à l'origine d'un genre littéraire, la «méditation». Au XIIe, siècle de l'éveil de la conscience et de l'intériorisation, elle devient une technique spirituelle. Du XIIIe au XVe, c'est une tradition proposée au plus grand nombre ; les textes spirituels atteignent des laïcs, hommes et femmes.
Inséparable de l'essor d'une civilisation du livre, le développement de la spiritualité fait du texte le moyen privilégié pour comprendre le monde extérieur et se déchiffrer soi-même. Depuis les méditations fondatrices d'Anselme (XIe s.) jusqu'à la simplicité de l'Imitation du Christ (XVe s.) en passant par l'incendie d'amour de Bonaventure (XIIIe s.), sont ici réunis les écrits les plus diffusés au Moyen Âge. Même s'ils ne relèvent pas de la mystique entendue comme une science de l'âme constituée en discours autonome (qui sera la mystique de l'âge moderne), ils peuvent être à bon droit qualifiés de mystiques.
Quant à leurs auteurs, ils ont en partage la prose d'art latine et une sensibilité littéraire. Pour eux, écrire est en soi un exercice spirituel. Aussi leur prose se lit-elle souvent comme de la poésie. Qu'en faire aujourd'hui? Entre une lecture dans la foi et celle du «développement personnel» (qui est une spiritualité sans Dieu), libre à chacun de mesurer la distance qui nous sépare de ces oeuvres, de reconnaître la proximité qu'elles entretiennent avec notre culture, et de se poser les questions qu'elles soulèvent et qui sont toujours les nôtres.
Premiers : les plus anciens de ces textes sont immédiatement postérieurs aux derniers écrits des apôtres (fin du ler siècle) ; les plus tardifs se situent à la frontière du Ile et du Ille siècle. Le corpus commence avec des hommes qui ont connu les apôtres : Clément de Rome fut proche de Pierre. Il prend fin avec les disciples de leurs disciples : Irénée de Lyon se réclame de Polycarpe de Smyrne, qui avait connu Jean. - Certains témoignages et quelques poèmes sont moins anciens.
Écrits : les auteurs, «Pères de l'Église» pour la plupart, ne cherchent pas encore à bâtir une oeuvre. Ils disent qui ils sont, comment ils vivent et meurent, ce qu'ils croient. Leurs textes adoptent les formes les plus variées : lettre, récit, traité, dialogue, discours judiciaire, poème... formes empruntées à la littérature de leur univers culturel, l'hellénisme, à moins qu'elles n'aient des parallèles dans la littérature juive, comme les actes de martyrs, dont l'Ancien Testament offre l'archétype. Pour exprimer les réalités nouvelles, les vieux mots changent de sens : baptizein, «immerger », devient «baptiser» ; ekklesia, «assemblée », signifie désormais «église».
Chrétiens : la période est celle de l'autodéfinition du christianisme. Le terme apparaît autour de 117, chez Ignace d'Antioche. C'est le temps de la séparation, plus ou moins rapide et marquée selon les ères culturelles, d'avec le judaïsme. Se constituent peu à peu des usages liturgiques, des règles communautaires, un canon des Écritures, des doctrines qui formeront le dogme de l'Église «catholique», c'est-à-dire universelle.
Naissance d'une religion, d'une Église, d'une littérature. À la fin du Ile siècle, sous l'oeil des «païens» et des juifs (dont on présente aussi, en ouverture, les témoignages), l'Église est en passe d'unifier ses usages et d'installer ses institutions. Le christianisme a trouvé sa place dans la société. Il a propagé ses idées dans le monde intellectuel. De cette aventure, car c'en est une, les Premiers écrits chrétiens retracent les divers aspects, d'une manière extraordinairement vivante.
En 2019 à l'occasion du centenaire des librairies La Procure, et à leur demande, nous avions imaginé un hors-série de la collection Poésie / Gallimard consacré à six grands poètes dont l'inspiration chrétienne est au coeur de l'oeuvre. Le poète Jean-Pierre Lemaire a alors composé, en puisant dans le répertoire de la collection, Le sommet de la route et l'ombre de la croix, anthologie de six voix majeures du XXe siècle, Peguy, Claudel, Jammes, Marie Noël, La Tour du Pin et Grosjean. L'originalité et la qualité de ce bréviaire poétique, ouvert par une très belle et éclairante préface de Lemaire, nous ont convaincus de l'intérêt de lui donner une plus vaste audience et de l'intégrer dans notre catalogue. La quête spirituelle de ces auteurs, par ailleurs depuis longtemps au Panthéon de la poésie moderne, aux partis pris formels très libres et très différents, est si peu dogmatique, si ouverte et si personnelle qu'elle est évidemment, comme celle d'un Racine ou d'un Jean de La Croix, de nature à toucher le plus large lectorat. Du magnificat de Claudel à la chanson de Marie Noël, de la si humaine prière de Francis Jammes à l'ample scansion péguienne, du psaume réinventé de Patrice de La Tour du Pin à la quête d'un dieu sans majuscule dans le frisson du saule de Jean Grosjean, c'est moins de chants religieux que d'une universelle célébration du mystère qu'il s'agit ici.
Le premier tome de l'Anthologie de la poésie française du XX? siècle s'était donné pour repères Paul Claudel et René Char, c'est-à-dire les auteurs nés avant 1906. Michel Décaudin, maître d'oeuvre de ce volume, en propose aujourd'hui une version plus ample (une dizaine de poètes y trouvant place désormais).Le second tome, composé par Jean-Baptiste Para, prend tout naturellement le relais et s'ouvre sur les fortes présences d'André Frénaud et Guillevic, nés en 1907. À l'autre extrémité de l'arc temporel se trouvent les poètes nés en 1945, année charnière, choisie pour des raisons historiques, mais aussi, avouons-le, parce que le nombre de pages d'un tel ouvrage ne pouvait être illimité. Néanmoins, trois poètes prématurément disparus (Belamri, Le Sidaner, Guez-Ricord) viennent clore cette anthologie.Plus qu'un nécessaire état des lieux, c'est une invitation au voyage, à la rencontre de voix singulières. Chaque lecteur pourra y nommer ses propres affinités électives, tant il est vrai, comme le disait Paul Éluard, que «le meilleur choix de poèmes est celui que l'on fait pour soi.»
De Baudelaire à Saint-Exupéry, des lettres d'écrivains.
Huit auteurs écrivent à leur mère. Ils s'appellent Charles Baudelaire, Ernest Hemingway, Marcel Proust, William Faulkner, Jean Cocteau, André Gide, Henry James, Antoine de Saint-Exupéry. Ils sont jeunes comme Cocteau ou Faulkner, adultes comme Baudelaire ou Proust. Dans ces lettres affleurent l'amour, la tendresse, l'humour, mais aussi les conflits, parfois violents, l'incompréhension entre ces deux êtres, une mère et son fils, qui ont des liens à nul autre pareils.
Toutes ces lettres sont différentes mais toutes portent la marque de ce qu'il faut bien appeler la passion.
À l'exception de Tagore et d'une poignée d'autres, l'Inde poétique reste pour nous une immense terra incognita.
C'est donc à un voyage fascinant que nous conduit cette anthologie, la première à présenter la poésie indienne depuis ses origines védiques (il y a plus de trois mille ans !) jusqu'à aujourd'hui.
Plus de deux cents poèmes, une cinquantaine de poètes dont une vingtaine de contemporains traduits depuis leurs langues d'origine (sanscrit, anglais, ourdou, hindi, bengali, marathi, tamoul, malayalam, télougou, cachemiri, etc.) témoignent ici de la richesse, de la diversité et de la créativité continue de la poésie indienne.
Nous sommes, ne l'oublions pas, au pays où la poésie, selon les textes les plus anciens, est conçue comme une voie de délivrance, un yoga à part entière.
Chez les poètes indiens contemporains que cette anthologie s'attache à faire découvrir (Arun Kolatkar, Lokenath Bhattacharya, Jayanta Mahapatra, Nissim Ezéchiel, Ramanujan, Kamala Das, Sunil Gangopadhyay, etc.), le lecteur aimera s'immerger dans une poésie vivante, plus sensible qu'intellectuelle, exigeante mais accessible, aussi vigoureuse que mystérieuse.
On reconnaîtra ici la persistance d'un chant à travers les époques, un chant fait de souffle et de lumière, profondément indien, à la jonction de l'absolu et du quotidien.
Le premier tome de l'Anthologie de la poésie française du XXe siècle s'était donné pour repères Paul Claudel et René Char, c'est-à-dire les auteurs nés avant 1906. Michel Décaudin, maître d'oeuvre de ce volume, en propose aujourd'hui une version plus ample (une dizaine de poètes y trouvant place désormais).
Le second tome, composé par Jean-Baptiste Para, prend tout naturellement le relais et s'ouvre sur les fortes présences d'André Frénaud et Guillevic, nés en 1907. À l'autre extrémité de l'arc temporel se trouvent les poètes nés en 1945, année charnière, choisie pour des raisons historiques, mais aussi, avouons-le, parce que le nombre de pages d'un tel ouvrage ne pouvait être illimité. Néanmoins, trois poètes prématurément disparus (Belamri, Le Sidaner, Guez-Ricord) viennent clore cette anthologie.
Plus qu'un nécessaire état des lieux, c'est une invitation au voyage, à la rencontre de voix singulières. Chaque lecteur pourra y nommer ses propres affinités électives, tant il est vrai, comme le disait Paul Éluard, que « le meilleur choix de poèmes est celui que l'on fait pour soi. »
L'érotisme, la poésie - ou la rencontre de deux émois majeurs.
Dans son Erotisme, Georges Bataille affirme lumineusement : « .La poésie mène au même point que chaque forme de l'érotisme. Elle nous mène à l'éternité. » Si la poésie est bien le « plus haut état de la langue », n'est-elle pas la plus apte à restituer l'émotion érotique, ce plus haut état du corps et du coeur ? Embrasant les mots, la poésie érotique met le feu aux joues et ailleurs. Elle célèbre les sens, libère les énergies, elle chante le plaisir effréné de vivre hors des carcans de toutes sortes, la surabondance vibratoire, le grand jeu des attractions universelles.
Du vertige libertin qui envahit la poésie française aux XVIe siècle jusqu'aux blasons amoureux des surréalistes, de l'érotisme le plus feutré à la pornographie la plus exacerbée, on trouvera ici, en trois cent cinquante poèmes, une anthologie de la volupté sous toutes ses facettes. Un florilège du chavirement, explorant le territoire amoureux dans sa dimension toujours renouvelée. De Ronsard à Rimbaud, de Verlaine à Genet, de Louise Labé à Joyce Mansour, de Sade à Bataille, de Jouve à Calaferte, de Pierre Louÿs à Franck Venaille, de Michel Leiris à Bernard Noël, quelque deux cents poètes, dont un grand nombre de modernes et de contemporains, disent ici l'incroyable besoin d'impudeur qui parfois les saisit.
Ils disent les jeux de la langue et du sexe, avec toutes leurs saveurs, du sucré au salé, de l'implicite à l'explicite. Cette anthologie, qui rassemble ce que la poésie française a produit de plus érotique en cinq siècles, entraîne le lecteur à célébrer Eros en tous ses fastes, lumineux, sombres ou hilarants - Eros émerveillé.
Réveillonner en compagnie d'Alphonse Daudet et Joseph Kessel, admirer la crèche de Jean Giono, assister à la distribution des cadeaux avec Fédor Dostoïevski et comploter avec Alphonse Allais, Dieu et le père Noël...
Entre émotion et poésie, grincements de dents et éclats de rire, succombez à la magie de Noël.
En France, tout commence par des chansons. Le lyrisme courtois naît vers la fin du XIe siècle, dans le Sud. Bientôt, il se propage au nord de la Loire. En ce temps-là, l'amor (le mot est du féminin) est fine, c'est-à-dire raffinée. Elle exige de ceux qui la chantent qu'ils se forgent des instruments - une langue, des formes - à la hauteur de leur sujet. Ces premiers chercheurs d'une excellence poétique sont, non sans logique, appelés des «trouveurs» - trobadors dans le Sud, troveors («trouvères») dans le Nord. C'est avec eux que s'ouvre cette anthologie. Elle se referme, au second volume, avec des poètes vivants, nos contemporains. Bien sûr, leurs voix ne sont pas éteintes, leurs oeuvres ne sont pas achevées. Mais déjà se dessine un paysage, dont on trouvera ici les contours.
Rappelons que le verbe grec anthologein signifie «cueillir des fleurs». Cueillir - sauf à tondre la prairie - c'est choisir. Ces deux volumes, tout en proposant un panorama aussi équilibré que possible de neuf siècles de poésie, n'échappent pas à cette règle. L'important est sans doute que le lecteur demeure le maître du jeu, qu'il se sente libre de fixer le but de sa promenade, de régler le rythme de son pas, d'emprunter tantôt les allées principales, tantôt les chemins de traverse. Autant de lecteurs, autant d'anthologies.
Titre de William Shakespeare, repris en collection blanche en 1945.
«L'affection et la naïveté muette disent bien plus en disant moins.» Le songe d'une nuit d'été, 1600. William Shakespeare.
Giono ? « C'est un monde ! » pourrait-on dire à la suite de l'auteur, pour pasticher ce qu'il dit dans Noé de personnages hors du commun et de « choses extraordinaires ». Et, de fait, l'oeuvre de Giono est un monde en soi, avec son histoire et sa géographie propres, avec son humanité spécifique, avec son « système de références » à part.
Voilà ce qu'entend explorer cet ouvrage, issu en grande partie du projet de colloque pour le cinquantenaire de la mort de Jean Giono (1895-1970), en 2020. Il réunit ainsi des chercheurs et des universitaires sous la direction de Denis Labouret (Sorbonne Université) et d'Alain Romestaing (Université Clermont Auvergne), autour de trois thèmes : « Microcosmes », « Mondes d'ailleurs », « Créer / recréer le monde ». Ces études, qui convoquent oeuvres célèbres ou méconnues, révèlent l'immense diversité et la richesse de Jean Giono, « l'écrivain-monde ».
Pour ouvrir un tel ensemble, une porte d'entrée s'imposait : celle du Paraïs, la maison de Giono, que Sylvie Durbet-Giono, la fille de l'écrivain, présente comme ce petit monde intime où sont nés tous les mondes de l'invention littéraire. Et, à l'autre bout de l'ouvrage, on trouvera l'hommage de Pierre Michon au « monde perdu » de l'Arcadie gionienne, ce paradis de l'enfance et de la poésie évoqué dans Virgile.