La vie, malgré. Malgré quoi ? Malgré tout.
Tout ce qui l'obscurcit, la salit, la détruit. La vie malgré la douleur, la déchéance, la mort. Au jour le jour. « Chronique », donc. Comme cette Chronique d'un égarement de l'auteur (texte publié par Lettres Vives en 2011) dont ce livre est en quelque sorte un prolongement. Ou « journal », si l'on préfère. Journal du temps. Car ces pages relèvent essentiellement du journal, de cette écriture non pas des événements de la vie de l'auteur, de ses sentiments, de ses pensées, mais du jour, de sa lumière, de son perpétuel recommencement - de cette extase ou Amnésie du présent, pour reprendre le titre d'un essai récemment paru. Journal, oui, de l'énigme d'être là, d'être vivant.
95 sizains et 2 proses dont une inaugurale pose l'enjeu de ce livre : écrire le jour, ses odeurs, ses lueurs, ses rumeurs. Ce qui s'approche, s'éloigne et le lieu même de cet enjeu : le poème comme une fenêtre. Un petit rectangle de mots qui donne sur ce qu'on ne sait pas.
Il suit les traces. Il les perd. Recueil composé de 9 parties : /Les traces/ Le cri/ Au bord/ Seul/ La peur avec /Lui/ et /Elle/ / La pluie/ La lumière/ La beauté/ Perdre les traces /Mais comment trouver les traces ?/ Le ciel se couvre. On entend/ tomber les châtaignes une à/ une. Il y a sur le mur/ comme un signe entre les ombres/ qu'on aimerait bien comprendre./ Les doigts se tendent. Trop tard./
Le chat, le pré, le chêne, la forêt, la roche, les nuages. Le regard monte, circule, cherche, s'arrête, repart. Qu'est-ce qu'un paysage sinon cet échange ? Cette pénétration du dedans par le dehors et l'inverse. Au point qu'il n'y a plus, du corps à la ligne de crête, que ce continu de mots, de formes, de rêves, de couleurs, de souvenirs et d'air qu'on appelle l'espace.
Ode au recommencement est le prolongement de La brûlure et de L'identité obscure, c'est le même mouvement qu'on retrouve - le même souffle qui vous traverse et vous emporte à la rencontre de ce que vous ignorez et qui ne cesse de recommencer. Ce présent de la vie qui, d'un même élan, vous arrive et vous abandonne, comme les vagues de la mer que semblent mimer ces grandes laisses, ces grandes strophes où tout voudrait entrer, l'infime et l'immense, le proche et le lointain, la lumière et les ténèbres, l'ordinaire et l'extraordinaire, la douceur et la douleur, tout ce qui fait, le merveilleux, l'épouvantable, l'inépuisable réel.
Après avoir enseigné pendant plus de trente ans dans les classes préparatoires des grandes écoles, il se consacre aujourd'hui à son travail d'écrivain et de traducteur près d'Annecy, où il réside. Auteur d'une quarantaine de livres, il a reçu les prix de poésie Charles Vildrac de la Société des gens de lettres et Heredia de l'Académie française 2006 pour Diptyque avec une ombre (Arfuyen), le Prix Apollinaire 2009 pour L'Identité obscure (Lettres Vives) ainsi que la Plume d'or 2013 de la S.A.S. pour l'ensemble de son oeuvre. Traducteur de quelques-unes parmi les plus grandes voix des lettres hispaniques comme Rodolfo Alonso (Entre les dents, érès, 2017), il s'est également vu décerner les prix Nelly Sachs 1992 et Rhône-Alpes du Livre 1994, la Bourse du Prix Européen de Littérature 2006 et les prix de traduction Alain Bosquet 2015 et Roger Caillois 2016. Enfin, tout récemment, son travail de traducteur et d'écrivain vient d'être distingué par un doctorat honoris causa de l'Université Catholique de Louvain. Il a publié aux éditions érès Portrait d'une ombre (érès, 2009) et Travaux de l'infime (érès, 2012).
Finir c'est commencer - mais qui parlait ? Nous écoutions incrédules fixant le lent déclin de la lumière Ou surpris par ce suspens inattendu qui brusquement nous séparait de la rumeur du jour.
Oui, commencer : les mots vous abandonnent, mais derrière eux reste comme un écho de choses Qui se cherchent. La voix se perdait avec le ciel rouge. Laisser dire, on l'entendait encore, - et voir venir.
Ce volume, sous format poche, est le prolongement de Le jour commence (Poèmes I - 1966-1976) publié en 2015. Il est composé de Zone franche (Poèmes II - 1974-1980) et de L'heure de cendre.
Dans ce petit livre, il regroupe des petits poèmes qu'il nomme " milonga " inspirés par la disparition du grand poète Juan Gelman.
Le livre est bilingue traduit en espagnol ( Argentin ) par Rodolfo Alonso qui a bien connu le poète argentin exilé au Mexique.
Huit fois huit poèmes de huit versets chacun. Pourquoi cette forme s'est-elle imposée à l'auteur ? Qu'est-ce qui se joue dans cet e et de réverbération numérique ? Peut-être cet amour de la lumière - du jour qui occupe une place importante dans son oeuvre. Le jour commence , pour ses premiers poèmes, Le jour n'en fi nit pas à mi parcours et, à présent, cette répétition insistante Huit fois le jour , comme si quelque chose en lui ne voulait pas lâcher, toujours recommencer. Ce que dit bien un autre de mes derniers titres Ode au recommencement dont ce livre est le prolongement, plus maîtrisé, peut-être, plus apaisé. Sans doute le jour est-il ici une image de vie ? D'un passage de vie porté par un passage de langage et d'un passage de langage porté par un passage de vie, indissolublement.
"Il y a une ombre. On dit ombre, faute d'un autre mot. Pour donner forme à ce qui n'en a pas. On pourrait dire tout aussi bien compagnon - " ce latent compagnon qui en moi accomplit d'exister ", écrivait Mallarmé. Mais ombre est moins net, plus évasif. Alors, faire le portrait d'une ombre ? Faire signe non pas vers une image déjà visible, mais vers ce non-visible qui peu à peu se trame aux lisières du visible. Vers cette chose qui passe et vous laisse dans la bouche comme une voix silencieuse. Une voix qui parle, pourtant, qui parle, même si vous vous taisez. Ce que dit cette voix, vous n'en savez rien. Vous ne vous y reconnaissez pas - vous vous y reconnaissez, peu importe. Il ne s'agit pas d'identité. Ou alors de cette identité obscure qui est une autre manière de dire qu'on ne sait rien. Qu'on est entre : entre ici et ailleurs, entre hier et demain, entre tout et rien. Entre, toujours, entre. Entre le jour, la nuit, ce qui vient, ce qui s'en va -et qui revient toujours." (Jacques Ancet) Une écriture poétique simple et claire pour dire l'énigme d'exister, pour tenter de rendre visible cette part de non-visible qui nous constitue (aussi) et nous accompagne comme une ombre.
À la mort soudaine de sa femme, le narrateur du Dénouement se réfugie dans la rédaction d'un journal, le journal de son deuil. Survivre, c'est écrire. Recomposer par le langage un nouveau rapport au temps, à la mémoire et à la solitude. Peut-on vraiment quitter quoi que ce soit ?, écrit-il en proie à sa propre nature sauvage. D'autres espaces s'ouvrent à lui : paysages de montagne embrumés, bergerie perdue sur un plateau rocheux, monastère où reprendre des forces. C'est le parcours initiatique d'un homme retranché dans les marges de son humanité et dont le lecteur peut suivre, étape par étape, l'écriture du récit.
Un roman comme un poing crevé d'éclairs. Une explosion d'images.
Sur la fenêtre, l'arbre et le monde sont une seule image, instantanée, débordant de son explosion fixe la lenteur, de toute écriture.
Que peut alors l'homme qui chaque jour vient s'asseoir devant elle, sinon faire le récit de son regard appliqué à suivre patiemment l'infini réseau des branches, les variations de la lumière, des jours, des nuits et des saisons, en quête d'une improbable coïncidence ? Ce qui jusque-là, dans tout roman, toute narration, n'était que l'arrière-plan ou, tout au plus, le témoin muet de nos vicissitudes et de nos drames en est soudain devenu le centre, rejetant le monde des hommes, les âges de la vie, dans les marges de son irrésistible prolifération.
Non plus décor mais personnage à part entière, l'arbre est donc le sujet de ce livre traversé par ailleurs par une interrogation sous-jacente mais obsédante : que peut encore, face aux arts visuels traditionnels - peinture, photo, cinéma - mais aussi face à ceux qui triomphent aujourd'hui - vidéo, imagerie virtuelle -, cet exercice silencieux, solitaire, imperceptible, qu'on appelle littérature ?
Ce livre réunit un certain nombre d'essais écrits durant plus de deux décennies (1991-2014). Ils accompagnent un chemin d'écriture qui, depuis une quarantaine d'années tente difficilement, fragmentairement, de prendre conscience de lui-même dans l'après-coup du regard jeté en arrière ou dans l'accompagnement d'un certain nombre d'oeuvres aimées. Ces textes ont tous en commun d'être traversés par une interrogation insistante qui, depuis Don Quichotte, est celle de toute entreprise littéraire : qu'en est-il des rapports de l'écriture et du réel ? Laquelle ne peut engendrer que d'autres interrogations ou quelques réponses provisoires et toutes plus ou moins formulées ici ou là depuis longtemps déjà. Ce qui ne dispense personne d'essayer de les reformuler à son tour et à sa manière. "Tout ce qu'on a pensé d'intelligent, écrit Goethe, on l'a déjà pensé ; ce qui nous reste à faire, c'est de le penser de nouveau.".
Il ne faut pas mésestimer le poids des notes dans le parcours d'un écrivain. Qu'il s'agisse d'essais, de préfaces ou de chroniques, ces textes parallèles esquissés le long de l'oeuvre en cours en disent long sur la circonférence de ses lectures, et donc sur sa profondeur de champ. En somme, les auteurs que l'on porte en soi façonnent autant notre réalité que notre environnement direct ou notre histoire personnelle.
Dans le premier opus de son cycle critique L'amitié des voix, Jacques Ancet réunit moins un panthéon d'auteurs qu'une colonne vertébrale, nécessairement subjective, d'oeuvres ayant soutenu sa voie : une géographie de préférences personnelles qui s'étend sur près de quarante ans. Car on n'écrit pas sans l'autre, et dresser la carte de ses voix d'écriture, c'est livrer un peu de soi-même.
Pour ce volume, à travers les siècles, nous suivons un sillon majoritairement franco-hispanique qui va de Cervantes à Claude Simon via Quevedo, Mallarmé ou Maria Zambrano, sans oublier Borges. Quant à savoir qui s'exprime en marge de ces textes, c'est à la fois le poète, l'écrivain, le professeur, le lecteur, le traducteur, tant tout est intriqué dans l'acte littéraire.
Précédé de «Parler la douleur », préface de Jacques Ancet, 2010.
Une phrase, une seule phrase pour contenir ce Silence des chiens de Jacques Ancet. Une longue phrase, déroulée, se dépliant en souffle, en rythme, qui fait que l'on ne se trouve plus devant le texte, mais bien à l'intérieur de lui, pris dans ses pliures, son flux, et porté par son mouvement.
C'est un texte, au sens élargi. Il contient les images quotidiennes, les gestes simples et l'invisible pensée qui les porte, résurgences, sensations, interactions, autour de ce «tu» qui avance et veut dire.
Ce souffle crescendo et décrescendo emporte.
Il nous déplace de l'anodin à l'indicible, du particulier à l'universel avec une facilité déconcertante. Peu importe qu'il n'y ait qu'une seule phrase ou plusieurs, le propos n'est pas celui d'une performance qui serait seulement acrobatique. Il s'agit bien de chair, de sang, d'émotions, d'humanité (ou d'inhumanité) en marche.
Silence et bruit, c'est la rumeur du monde qui enfle, parfois au point de prendre toute la place et c'est comme si la phrase elle-même s'assourdissait de rendre compte de ce qu'elle entend, de ce bruit qu'elle doit identifier, désigner, décrire.
Ce bruit est comme une basse, un son constant, un acouphène. S'il s'éloigne, il n'est jamais tout à fait loin. Et s'il se cache au milieu des sonorités du monde, l'écriture l'en extrait.
C'est le bruit d'une souffrance. Jacques Ancet la cerne, l'encercle de ses mots, avance peu à peu vers elle, rend compte de son écho, avant de plonger à l'intérieur.
Superbe prose poétique, exploratrice, saisissante et sonore, qui bouleverse. L'écriture du Silence des chiens est un instrument de précision, utilisé pour « parler de l'horreur du dedans ».
Ciseau, sonde, pic, la « ligne de mots » de Jacques Ancet est forte, vibrante, et résonne longtemps après qu'on ait fini de la lire.