Le cinéma a été l'invention d'un siècle obsédé par la découverte et la maîtrise du monde visible et connaissable. De là à penser qu'il était une machine à enregistrer et à garder mémoire, il n'y avait qu'un pas, presque toujours franchi. Dans l'esprit collectif, c'est entendu : le cinéma, c'est la mémoire des choses passées (définition, par ailleurs, de l'Histoire).
Dans ce bref essai, on teste l'hypothèse contraire : et si le cinéma, au fond, était plutôt une grande machine à oublier ? Déguiser la réalité en la laissant envahir par des puissances d'image ; lui donner une forme lacunaire, qui en laisse de côté définitivement des pans entiers ; affronter la mémoire collective en la remodelant et en la vouant au grand récit, c'est-à-dire à la déformation ; jouer avec le temps à ses limites. Ce n'est peut-être pas un hasard si tant de films ont repris et varié le scénario de l'amnésie.
« Seule la main qui efface peut écrire le mot juste » : l'écrivain et linguiste Bertil Malmberg avait trouvé la formule frappante, que Godard a reprise et qui convient si bien au cinéma. C'est parce qu'il est instrument d'oubli qu'il peut, finalement, jouer vraiment son rôle de mémoire des choses du monde et des événements passés - tout simplement parce que la mémoire n'est pas un trésor qu'on accumule sans fin, mais un processus, interminable.
Le cinéma n'est, aujourd'hui, qu'une forme parmi d'autres de l'image en mouvement, et pour beaucoup de gens, il n'est même plus sa forme d'expérience majoritaire. Faut-il pour autant conclure que le cinéma a déjà disparu, ou au moins qu'il est en train de disparaître? Le propos de Jacques Aumont n'est en effet ni nostalgique ni pessimiste, et au lieu de décrire ce que le cinéma a été autrefois ou ce qu'il est (encore) aujourd'hui, il préfère demander ce qu'il reste du cinéma , au sens précis de ce qu'il en restera toujours. Le cinéma est ainsi analysé dans sa spécificité même, c'est-à-dire en ce qui le distingue (radicalement) de toutes ces autres formes sous lesquelles l'image mouvante est véhiculée. L'objectif n'est alors pas simplement de donner une (nouvelle) définition de ce qu'est le cinéma mais de faire ressortir les valeurs, esthétiques ou autres, dont le cinéma est le porteur exclusif.