La novlangue est une violence faite à la langue, à sa capacité de dire des vérités et de désigner des réalités. Après une brève mise au point théorique sur la novlangue en général, l'ouvrage passe à la pratique en examinant la novlangue d'Emmanuel Macron.
Cette analyse est destinée à mettre en éveil toutes celles et ceux qui s'inquiètent de l'affaissement de la démocratie : la violence faite à la langue n'est séparable ni des violences physiques faites aux corps humains par les pollutions industrielles ni des violences morales et affectives faites aux sensibilités par la techno-économie (informatisation de la vie, surveillance sanitaire-Covid, chômage de masse).
Immonde, donc répugnant. Mais est-ce le seul sens possible ? Pas sûr, car bien souvent les textes de Kafka paraissent réactiver le sens littéral du mot ou ce qui peut être interprété comme tel : l'immonde comme négation du monde. Quand on compare la langue française et la langue allemande, on constate que si cette dernière a des mots pour dire le répugnant et ses synonymes, elle n'en a pas pour dire l'immonde comme négation du monde. Or, ce que nous avons expérimenté - merveille de la littérature ? -, c'est que la prose simple et concrète de Kafka comporte assez d'idéalité internationale pour s'évader quelques instants de la langue allemande, suggérant alors aux esprits français le concept de l'immonde comme négation du monde. Une question ici ne peut manquer de se poser : quel est au juste le lien, chez Kafka, entre l'immonde comme immondice et l'immonde comme négation du monde ? Ou plutôt : peut-on vraiment parler de lien quand on remarque que l'immondice et la négation du monde sont le plus souvent mêlées ? Mieux : sous un certain rapport, ne sont-elles pas les deux faces de la même médaille ? C'est dire s'il devient impossible de confiner l'immondice dans la signification de déchet. Il faut élargir son champ sémantique. L'immondice : non plus seulement la saleté ou le déchet, mais encore l'état d'une chose ou d'un être qui nie le monde.
Nous assistons à la résurgence de la barbarie, de l'intolérance, des fanatismes économique et religieux, de l'extrémisme. Terrorisme ? Le mot de totalitarisme est peut-être le plus adéquat. Mais à condition de distinguer ce que la théorie politique confond souvent : totalitarisme et terrorisme d'État. Encore faudrait-il aussi se départir de cette même philosophie politique qui tend à figer le totalitarisme en « régime ». À distance de cet héritage traditionnel, le présent ouvrage propose six thèses originales sur le totalitarisme (y compris néolibéral) : ce n'est pas un régime mais une tendance tendance moderne qui rend les hommes superflus sous forme de chômeurs ou de cadavres ; c'est, d'abord, non pas un phénomène de terreur militaro-policière extraordinaire, mais un phénomène de peur ordinaire ; c'est un mouvement technoscientifique illimité vers la superfluité humaine ; c'est un mouvement étatique illimité vers la superfluité humaine ; c'est un mouvement économique illimité vers la superfluité humaine ; il n'y a aucune parenté entre le totalitarisme et la démocratie : le premier est affaire de population passive, la seconde est affaire de peuple actif.
Notre époque chaotique a perdu tout repère social et humain. Une vision anthropologique large permet de retrouver une première balise : l´autotranscendance. L´autotranscendance est le fait que, dans les sociétés humaines avant le capitalisme industriel, la puissance horizontale du peuple montait spontanément en verticalité. Certains Amérindiens dressaient un totem, les Grecs honoraient la « cité-belle-et-bonne ». La thèse ou l´hypothèse de cette brève enquête est que l´autotranscendance est un invariant constitutif de toute société humaine. Aujourd´hui il est bloqué. L´heure est venue de le débloquer par une pratique large de l´esthétique sociale : le fanatisme économique ne refluera durablement que devant l´assaut du théâtre, de la musique, de la danse, et de toute autre esthétique collective à inventer. Il faut renouer avec le mot de Brecht : « Tous les arts contribuent au plus grand de tous les arts : l´art de vivre. »
Le 1er janvier 1917, à Saint-Pétersbourg, devant une salle bondée, Mandelstam donne lecture de ses poèmes. « Sa façon de réciter, dit une amie, était plus que rythmée. Il ne scandait pas, il chantait comme un sorcier possédé par une vision. » Dehors, le monde se convulse : révolution de 1905, effondrement de l'ancien régime, boucheries de la Première Guerre mondiale, révolutions de 1917.
Comment la poésie résiste-t-elle à ces bouleversements ? En compressant dans la langue russe un monde européen dilaté vers ses sources : de Rome à la Grèce romaine, puis à une Europe gréco-romaine réunie autour de l'Arménie et des plaines de Voronej - là où Dante, Goethe, Eschyle, Tiouttchev, Derjavine et Christian von Kleist rencontrent Villon, Ovide, Homère, Bach, Beethoven, Lermontov et Pouchkine.
Mandelstam célèbre, avec un sourire de distance, ce monde qui se meurt puis se reconstruit sous ses yeux. Le monde est glorifié tel qu'il est, parce que « il est » signifie pour le poète « il doit devenir ».
De cette poétique, Mandelstam déduit une éthique : en pleine période de purges, au moment où Mandelstam alterne malaises et syncopes, ses poèmes recherchent la sérénité :
Tu n'es pas mort encore, tu n'es pas seul encore Tant qu'avec ton amie mendiante Tu peux goûter la majesté des plaines Et le vent neigeux qui tournoie.
Dans ta pauvre splendeur, ta puissante misère, Vis calmement, rasséréné.
Malgré les diktats et les censures, les écrivains et les historiens russes du XXe siècle ont écrit l'histoire (et pas seulement celle de leur époque ou de leur pays) avec une créativité remarquable.
Ils suggèrent tous, sous des expressions infiniment diverses, à quel point le centre de gravité historique s'est déplacé du macromonde (empereurs et tonnes de blé) vers le micromonde (mentalité et imagination). Dans ce déplacement, les artistes semblent déformer la " réalité " plus que les historiens. Voire : y a-t-il si loin des fantaisies de Boulgakov ou Nabokov à la narration du fait concentrationnaire par les écrivains-historiens Soljénitsyne et Chalamov ? Au-delà de l'apparence, en dépit des différences de méthode, les efforts convergent ; un signe : Karsavine l'historien et Zamiatine le romancier revendiquent tous deux le sens comme " synthèse ".
Ainsi chaque artiste ou historien est-il à lui seul un orchestre du monde, tel le musicien synthétique de Puni.
A la charnière des XVIIIe et XIXe siècles européens, le corps du poète, de l'orateur, du déclamateur se retire de la scène verbale (tribunes et chaires diverses). Mais le retrait est en trompe-l'oeil. Ce qui s'efface, ce n'est pas le corps en général : c'est le corps naturel. La modernité est l'avènement du corps physicohistorique, dont l'écriture-monument n'est qu'un aspect. Ce monisme duel, cette sensation de la corporalité historique du mot sont si pressants que, dans leurs manifestes, les poètes ont parfois cru pouvoir se servir des termes de la célèbre querelle qui, au moyen âge, opposa les réalistes, pour qui les idées générales étaient réelles (au-delà et en dehors des mots qui les reflètent), et les nominalistes, pour qui les idées générales n'étaient que des mots. Mais les réemplois du " nominalisme " et du " réalisme " ne sont pas allés sans inconséquences terminologiques, interversions, confusions. C'est qu'en réalité la querelle médiévale est rendue caduque par le monisme de la chair historique : les idées générales n'ont pas de réalité autonome, mais elles ne se résument pas non plus à des mots. Les mots ne se contentent pas de porter des idées qui existent en dehors, sagement assises à leur place céleste, mais ils ne réduisent pas non plus les idées à eux-mêmes. Un certain fixisme naturaliste ou essentialiste prend fin en cet instant où non plus des mots isolés, mais un système-énergie verbal (e), mettons, une langue, un roman, un poème, vient non pas dire ce qui est, mais révéler ce qui devient. A ce travail de révélation la Russie et l'aire slave modernes apportent une contribution décisive et originale. C'est cette contribution que le présent ouvrage tente d'explorer - à travers les interventions majeures des poètes et philosophes de l'Age d'argent, de Mandelstam, Tsvétaïeva, Nabokov, Gombrowicz.
Cet abécédaire se compose d'une cinquantaine d'entrées dont chacune est double et interrogative (par exemple : « Bonheur ou vie bonne ? », « Modernisme ou modernité ? », « Peuple ou population ? ».). Il tente d'exposer, de manière concise et originale, les grands enjeux de la vie bonne, en rapprochant deux notions-réalités apparemment proches mais entre lesquelles il importe de faire une distinction pour sortir d'une certaine confusion inhérente aux esprits en notre époque troublée.
Janvier 1917. Saint-Pétersbourg. Cabaret artistique du « Chien errant ». la salle est bondée. Sur la scène, Mandelstam, debout, tête levée, yeux clos, il incante, il crie. « Sa façon de réciter, dit une amie, était plus que rythmée. Il ne scandait pas, il chantait comme un sorcier possédé par une vision. » Pendant que les poèmes prolongent la puissance du corps, le monde se convulse : révolution de 1905, effondrement de l'ancien régime, boucheries de la Première Guerre mondiale, révolutions de 1917, guerre civile, famines, Staline. Comment le poème résiste-t-il ? En compressant dans la langue russe un monde européen dilaté vers ses sources : de Rome à la Grèce romaine, puis à une Europe gréco-romaine réunie autour de l'Arménie et des plaines de Voronej. Les êtres, mais aussi les choses composent un monde que Mandelstam célèbre avec un sourire de distance. Le poème se veut affirmatif.
Tel est le combat. Le sourire troue l'affirmation ; tel est le jeu. De la sorte : ni éloge béat ni sourire cynique. Le monde est glorifié tel qu'il est parce que « il est » signifie « il doit devenir ». Et ce qui vaut pour le monde vaut bien sûr pour le peuple. La poétique, nécessairement éthique, dicte d'un seul souffle le courage de la métamorphose et la joie de l'expansion : en pleine Terreur (1937), au moment où Mandelstam alterne malaises et syncopes, ses poèmes s'évasent à l'ampleur cosmique de la sérénité.