Le "pouvoir magique" dont Rimbaud se targue dans Une saison en enfer se vérifie par ses effets dans l'oeuvre autobiographique d'un poète moderne, aussi éveillé que méconnu. Arion Dume, dans ses "carnets" de voyage, n'imite pas vraiment Rimbaud, dont l'empreinte est pourtant sensible dans ces Carnets. Mais les événements du hasard, notés par Arion au jour le jour, semblent transposer les moments clefs du destin d'Arthur. Arion incarne ainsi le "travailleur" qui pourrait succéder au Rimbaud "voyant" et poursuivre son oeuvre.
Les manifestations des défunts sont un thème qui ne fait pas sourire, quand il est abordé par de prestigieux poètes ou penseurs. Or la parole écrite, quelles que soient ses formes, pas seulement livresques, peut elle-même jouer un rôle initiateur dans la perception de ce phénomène. L'illusion des frontières entre la vie et la mort, le rêve et la réalité, est l'objet de ces quatre récits, à mi-chemin du témoignage personnel et des notes de lecture.
Les textes rassemblés dans ce recueil, des poèmes si l'on veut, illustrent un thème que rabâchent aujourd'hui les médias : celui des catastrophes naturelles et des mutations dont notre civilisation serait responsable. Les visions rapportées dans ces textes sont moins des rêves subis que des désirs conscients, vaguement inquiétants, provoqués par les réalités les plus immédiates ou par les images dont se couvre notre monde.
"Les Apocalypses secrètes" évaluent le rapport de la parole poétique et du mythe de la parole divine, en étudiant le récit biblique de l'Apocalypse. La question de l'harmonie entre la forme littéraire et celle du groupe humain, longtemps liée à l'idée du sacré, figure dans la réflexion des écrivains mentionnés dans le titre de ce livre.
On ne lit plus aujourd'hui les nombreux essais où Maeterlinck, avec plus de netteté que dans son théâtre, exprime son credo métaphysique, fort éloigné de notre matérialisme. Maints aspects du monde actuel sont pourtant l'objet d'une sorte de préscience dans ces essais. Cet ouvrage est conçu pour réhabiliter sa pensée, en particulier sur la mort, qui selon lui ne fait que prolonger la vie. Nourrie par un savoir diversifié, cette pensée adapte les leçons des grandes traditions aux progrès de la science, auxquels Maeterlinck consacra d'autres essais. Les textes du poète belge cités dans cet ouvrage permettent encore d'apprécier sa dépendance méconnue à l'égard de Rimbaud, un maître occulte, dont les énigmes revêtent leur sens le plus spirituel dans leurs échos chez Maeterlinck.
"Le Rimbaud « voyant » envisageait la venue des « autres, horribles travailleurs » qui lui succèderaient sur « les horizons » où lui-même n'était pas certain d'arriver « à l'inconnu ». Maeterlinck et Claudel s'imposent comme les plus grands de ces travailleurs, notamment dans leurs oeuvres théâtrales, hantées par les écrits poétiques de leur indépassable modèle. Ces oeuvres dramatisent en effet les énigmes de la parole de Rimbaud, que résument « la grâce croisée de violence » ou bien, dans une autre illumination, le rapport des « pierres précieuses » et de « Barbe-Bleue » : autant d'expressions du mystère de - l'harmonie, qui a partie liée avec la violence humaine."
"Les objets les plus quotidiens ont inspiré les poèmes de ce recueil, dont les différentes parties concernent autant de points de vue sur les choses qui nous entourent ; associées à nos corps, ou bien concurrentes de notre être. Transposés dans l'écriture, ces objets sont autant de jalons de l'histoire contemporaine. Les moins précieux s'imposent d'ailleurs comme le pivot d'une représentation synthétique de notre monde. Ou comme l'aiguillon d'une vision subjective des causes premières, oubliées dans la perception que la plupart des hommes ont de ce monde."
Ce livre est une tentative pour abolir le fossé qui sépare la culture populaire et celle qui est l'objet des études universitaires. Michel Arouimi a longtemps exploré les oeuvres des grands poètes ; il sonde ici les abysses insoupçonnés du texte des chansons de Françoise Hardy : un exemple majeur de "pop littérature". L'écriture de ses chansons se révèle être le moyen, surprenant par son intensité poétique, d'une détection des tensions de notre monde sur le fil du sentiment amoureux.
Le remodelage des textes bibliques, surtout l'Apocalypse, aura été pour Rimbaud un moyen d'exprimer son partage entre les enjeux inconciliables de sa vocation : célébration du « Nombre et de l'Harmonie », ou bien projection d'une division de l'être, ressentie comme l'aiguillon de son génie ? Un dilemme insoluble, que Rimbaud n'a pu résoudre que par le silence. Mieux que la « langue » nouvelle, à laquelle aspirait le « voyant », ses poèmes manifestent, mais en lui laissant toute son ambiguïté, le fondement originel du langage. Cette leçon vaut pour le monde présent, en proie à la violence des nombres, et oublieux des vertus spirituelles que leur attribue la Tradition.
Depuis trois décennies, les Smashing Pumpkins, célèbre groupe de rock américain, se sont renouvelés sur tous les plans, mais sans abandonner l'esprit qui anime leurs créations, insufflé par son leader. Le talent poétique de Billy Corgan, auteur de la plupart des chansons, permet de mieux sentir le sens de recherches musicales qui, comme le texte si hermétique de ces chansons, renouent avec les principes du sacré. Le son des instruments comme le texte des chansons sont le moyen d'une « alchimie », révélée comme telle par les illustrations des albums et par les vidéo-clips, étudiés dans cet ouvrage.
En décrivant la mort de Billy Budd dans le récit éponyme, Herman Melville a raturé dans ses brouillons la « shekinah », remplacée par « le rose de l'aube » qui se déverse sur le corps du pendu, allégorique à maints égards. L'énigme de cette rature, qui porte sur un mythe essentiel du judaïsme, peut s'éclairer par les innombrables réminiscences de Billy Budd dans le roman de Henri Bosco Les Balesta, où la rose n'est pas le seul attribut de la « shekinah » qui soit l'objet d'une christianisation insistante. Le lien des deux traditions implique les fondements de l'esthétique universelle, éprouvés par ces poètes dans l'écriture. La couleur rose, dans une nouvelle de Kafka, est le support d'un questionnement analogue. De même dans d'autres de ses récits, avec les détails chromatiques qui soulignent leur construction. Le mythe hébraïque ne fait qu'associer la rose à une vérité sans âge, qui revit aussi bien dans les premiers romans de Victor Hugo que dans ses Choses vues. Ces écrivains nous proposent en fait une leçon sur la permanence du sacré et sur la valeur de ses principes, devenus incompréhensibles pour le monde moderne, immergé dans les formes matérielles et violentes de la dualité.
Dans les textes des chansons écrits par elle-même, Mylène Farmer, guidée par ses souvenirs livresques autant que par son intuition, redécouvre la grandeur des mythes premiers. Discrédités par notre époque, ces mythes ne sont-ils qu'une réponse au danger de la violence interhumaine ? Mylène s'empare du dogme religieux, dans certaines chansons et dans les vidéo-clips qui leur sont adaptés. Cette liberté si moderne se nuance par la survivance, dans le travail de Mylène, des principes de l'art universel. Et la nostalgie du sacré n'est pas le moindre attrait de cette expérience poétique, poursuivie dans tous les albums de Mylène Farmer.
Le statisme culturel de la Chine, depuis l'aube de son histoire, résulterait moins du poids de sa tradition que de la précocité, chez les plus anciens représentants de la pensée chinoise, d'une réflexion - si aiguë qu'elle n'avait plus besoin de progresser - sur les causes de la violence humaine. Cette réflexion filée dans les oeuvres littéraires chinoises de diverses époques est sans effet sur le credo métaphysique qui les porte. Ce phénomène est une leçon que mérite aujourd'hui la culture occidentale, en proie à la désacralisation.
"L'anthologie proposée dans cet ouvrage complète l'étude récemment parue Maeterlinck : ""Naître par la mort"" (Orizons, 2017). Elle concerne les nombreux essais où Maeterlinck a exprimé sa surprenante vision de notre place dans l'univers. Il questionne le mystère qui nous entoure, avec un art dont les qualités poétiques ajoutent à son pouvoir de conviction."
Le sens du sacré, chez Ernst Jünger, s'est d'abord nourri de l'expérience de la guerre, ressentie comme une manifestation de la violence que le sacré semble conjurer. D'où le désir, toujours plus affirmé chez Jünger, d'une nouvelle transcendance. Mieux que dans ses pensées philosophiques, ces problèmes se poétisent dans ses grands romans, où revivent les mythes dits premiers. Or, ses romans sont encore le prétexte d'un questionnement des pouvoirs de l'art, qui apparaît comme une réponse aux mêmes problèmes que s'efforce de résoudre le sacré. La réflexion de Jünger sur l'ambiguïté du sens de ces formes semble guidée par certains de ses modèles littéraires : Rimbaud, Joseph Conrad et surtout Herman Melville, mais encore Edgar Poe et Marcel Proust.
[Le] désir de "revivre" Rimbaud semble avoir été partagé par Henri Bosco, qui reconnaissait la grandeur de Ramuz. Le premier roman de Bosco comporte plusieurs références à des oeuvres fort connues de Rimbaud. Même si elles ne sont pas toujours conscientes, ces réminiscences, dans les poèmes et surtout les romans de Ramuz et de Bosco, sont autant de questions posées au mystère du poète et de l'homme Rimbaud, un mystère que rend peut-être moins obscur le regard de ces deux successeurs.
"Le titre de ce recueil de poèmes, Histoire de l'art, n'est pas une métaphore. Leur ensemble évoque différentes étapes de l'art universel, de la haute antiquité à nos jours, et dans plusieurs cultures. Ces références poétiques à des oeuvres exemplaires sont le prétexte d'un dialogue subjectif avec ce qui, dans ces oeuvres, est une leçon pour notre siècle. Si la langue de ces poèmes n'est pas nouvelle, le procédé fréquent du collage, impliquant divers types de textes sans prétention poétique, exprime la perte d'authenticité qui caractérise notre époque. Les illustrations parfois déconcertantes de ce recueil soulignent le caractère malgré tout ludique des intentions qui le portent."