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Rendre en vers la parabole des mouvements contestataires des années soixante-dix, leur force, leur rage, leur déclin, c'est l'exploit réussi par Nanni Balestrini dans les textes ici réunis.
Par un savant équilibre entre la rigueur de la composition, qui repose sur des habiles techniques combinatoires, et une langue fragmentaire, portant inscrite en elle-même la trace d'une histoire en devenir, l'auteur donne vie à une mosaïque vaste et mouvante. Si Vivre à Milan reflète la radicalité et la complexité des conflits qui ont mis à feu et à sang l'Italie au cours de la décennie, Blackout apparaît incontestablement comme le grand poème épique de cette saison de révoltes.
Lamentation funèbre pour la mort du mouvement mais aussi ultime cri de rébellion et d'espoir, cette épopée des vaincus, dont l'architecture répétitive évoque un mythique éternel retour, vibre de l'élan des grands événements collectifs et résonne d'une multitude de voix, personnelles et publiques. Ce sont l'intimité et la suspension qui dominent enfin dans Hypocalypse, images poétiques de la condition existentielle d'incertitude et de repli liée à la fin des grandes aspirations collectives.
La violence est d'abord celle que subissent les textes dans le processus d'écriture utilisé par Nanni Balestrini; textes d'origines diverses, souvent des coupures de presse relatant les mêmes faits avec des mots et des points de vue différents, parfois des oeuvres littéraires, d'où il extrait des tronçons de phrases; la recomposition qu'il en fait tient du tissage, par la réapparition du fil à intervalles dans la texture; mais il s'agit d'un tissage irrégulier, ou souvent se croisent des fils d'origines très éloignées, et les rencontres fortuites, apparemment fortuites, engendrent des ruptures de sens et des sens nouveaux.
Violence farte à la langue comme métaphore de la violence vécue au quotidien ou en situation de crise ?
Sans doute, cela est plus que jamais évident dans cette oeuvre ou sont présentes violence existentielle de la maladie et de la mort, violence prédatrice de la guerre, violence sociale des insupportables inégalités de condition et l'exploitation du travail, violence réactionnelle de la rébellion individuelle ou de groupe et violence de la répression.
Du printemps à l'automne 1969, partant de la célèbre usine turinoise Fiat, la révolte ouvrière enflamme l'Italie et lance son cri de guerre contre la classe bourgeoise : nous voulons tout. C'est « l'automne chaud », moment fort de la longue vague révolutionnaire qui va secouer la péninsule au cours des années soixante-dix. Au centre des luttes trône la figure de l'ouvrier-masse, emblème de la rage, de la spontanéité et de l'autonomie ouvrière, qui affirme le refus du travail et la destruction violente du système d'exploitation capitaliste. Par une narration sans répit, en prise directe avec la réalité des révoltes et la voix de ses protagonistes, Nanni Balestrini plonge au coeur de l'émergence linguistique et politique de ce nouveau sujet révolutionnaire, il fait entendre dans la chair même du texte le passage de la rébellion instinctive et individuelle du protagoniste à la dimension collective de la lutte. Expérimentation littéraire, ancrage historique et puissance de l'oralité font de ce roman l'un des témoignages les plus audacieux et vivants de la longue saison des révoltes.