D'une personne disparue ne nous reste qu'une poussière d'images et de moments, une suite incohérente d'instantanés qui persistent inexplicablement et, pour ainsi dire, s'alourdissent avec le temps. Le disparu, ici, s'appelle Roland Barthes ; et ces quelques pages voudraient suivre les reliefs ténus qu'il a laissés dans la mémoire d'un ami, inventorier le disparate de quelques scènes, affronter les énigmes que laisse, dans l'esprit de l'un de ses proches, un homme qui fut un maître.
Le sol inondé, à certaines périodes de l'année, d'un café vénitien, sous les Procuraties ; le service de porcelaine blanc et orangé du café Greco à Rome ; les murs de miroirs et de mogano, acajou sombre et poli, du Baratti à Turin...
C'est à la fascination pour ces endroits immatériels, transitoires par essence, que ce petit livre veut donner corps. En brassant, sans fausse pudeur, réminiscences, descriptions, anecdotes, bavardages - sinon médisances - sur des rites perdus, des boissons merveilleuses, des muphtis d'Arabie, des amoureux lunatiques et des excentriques de toutes sortes, parmi lesquels le regretté Tabacchino, chien, amateur de café, dont l'émouvant éloge funèbre, qu'on lira ici, fut justement prononcé dans le lieu qu'il hanta, l'air gourmand, le regard vide, une vie durant.