Le sol inondé, à certaines périodes de l'année, d'un café vénitien, sous les procuraties ; le service de porcelaine blanc et orangé du café greco à rome ; les murs de miroirs et de mogano, d'acajou sombre et poli, du baratti à turin.
C'est à la fascination pour ces endroits immatériels, transitoires par essence, que ce petit livre veut donner corps. en brassant, sans fausse pudeur, réminiscences, descriptions, anecdotes, bavardages - sinon médisances - sur des rites perdus, des boissons merveilleuses, des muphtis d'arabie, des amoureux lunatiques et des excentriques de toutes sortes, parmi lesquels le regretté tabacchino, chien, amateur de café, dont l'émouvant éloge funèbre, qu'on lira ici, fut justement prononcé dans le lieu qu'il hanta, l'air gourmand, le regard vide, une vie durant.
Publié à l'origine en 1984, quelques cafés italiens parait ici dans une version définitive, corrigée et augmentée.
Extraordinaire créatrice de bijoux, qui a travaillé pour Balenciaga, Schiaparelli, les Windsor ou Leonor Fini, parmi tant d'autres, Lina Baretti, disparue en 1994, ne s'adressa qu'à un cercle de happy few, ce qui contribua à son total effacement de la mémoire de la mode.
Stupéfiants d'invention et de beauté formelle, ses bijoux se distinguent par le choix résolu de matériaux « pauvres » - liège, mica, velours « sabrés », cannetille, perles - et par un esprit proche de celui de Fulco di Verdura ou de Jean Schlumberger.Les formes naturelles de son enfance en Corse - coquillages, élytres de scarabées, ancolies, pommes de pin, écailles de poissons - soutiennent son inspiration tout au long de son trajet, jusque dans les années 1970. Précises et fragiles, scintillantes et minutieuses, ces découpes de fines feuilles de métal aux surfaces chatoyantes ont la légèreté et la souplesse des vrilles de la vigne.
Première monographie consacrée à cette créatrice singulière, ce livre est une véritable révélation, rassemblant ses bijoux et parures les plus remarquables, en même temps qu'il offre un nouvel aperçu sur les cercles artistiques et mondains d'après-guerre.
Il y a une énigme Vivant Denon. Cet homme qui traversa tout le XVIII? siècle, au point d'en être, pour Anatole France, l'expression par excellence, a gardé un étonnant silence sur lui-même.Tour à tour diplomate, joli coeur, espion, courtisan, aventurier, graveur, personnage officiel, collectionneur, il est une figure de la cour de Louis XV et de Louis XVI, de la Révolution, du Directoire, du Consulat et de l'Empire, il s'impose dans l'expédition d'Égypte, dirige la politique culturelle de Napoléon et se trouve à l'origine du musée du Louvre.Il écrit quelques textes, invariablement sujets à des querelles d'attribution, et disparaît des mémoires, apprécié des seuls connaisseurs, pour ressurgir soudain, et avec quelle force, dans quelques livres récents.L'étrange parcours (et peut-être le silence) de Dominique Vivant Denon ne manque pas cependant d'exciter très tôt la curiosité; et gravitent, dès le XVIII? siècle, autour de cette figure secrète, témoignages et hypothèses, évocations et tentatives biographiques.C'est la majeure partie de ces reliquiae, d'une qualité littéraire souvent remarquable, que l'on s'est proposé de recueillir ici, rassemblant les fragments d'une biographie par définition lacunaire. S'esquisse ainsi l'image d'un personnage hors du commun, dont il ne nous reste que quelques éclats réfractés dans le regard de spectateurs subjugués.
Louise de Vilmorin revint à de multiples reprises sur cet épisode de son enfance où, de retour de promenade, elle constata avec effroi que sa poupée préférée, la seule, la " poupée chimère ", avait disparu.
Froide et indifférente, sa mère l'avait donnée, pour la distraire, à la fille d'une amie de passage. Louise fit là l'épreuve de l'irréparable, que nous sommes tous appelés à connaître sous une forme ou sous une autre; et vit ensuite dans cet objet perdu la source de tous les objets dont elle aima à s'entourer sa vie durant, élaborant un " art de vivre " qui loin de se réduire à un superficiel sens du decorum lui fut véritablement essentiel.
Ses livres autant que sa vie sont ainsi ponctués de décors magiques et de scénographies rêvées qui renvoient comme autant d'échos de sa fantaisie. C'est à cet art que cet album veut rendre hommage, rassemblant pour la première fois images et portraits par les plus grands photographes (de Beaton à Brassaï), décorations intérieures et photos de famille, tableaux naïfs et dessins de mode, écrits autobiographiques et petits essais : mosaïque, en un mot, de souvenirs et d'objets de plaisir - le plaisir n'étant jamais chez Louise que l'ombre portée d'une légère mais poignante tristesse.
Crânes renversés, parchemins déchirés, violoncelles éclatés, livres démembrés : c'est, en apparence, la dépouille de la « vanité » janséniste ou baroque qui reprend chair, en pleine modernité, dans l'oeuvre de Pierre Skira. Oeuvre violemment déplacée, paradoxale, inactuelle ou encore « soliste », pour reprendre le terme dont se flattait un lointain précurseur, le peintre Jean-Étienne Liotard à Genève, au XVIIIe siècle.
On aurait tort de ne voir, pourtant, dans cette coïncidence ou ce retour qu'un simple jeu de citations, l'expression d'une nostalgie ou un désir de reconstitution... Quand bien même persistent ici (au sens de la persistance rétinienne) un registre symbolique, un vocabulaire de formes, ils n'apparaissent jamais que littéralement défaits, pris dans un autre emploi, tenus à distance dans leur proximité même.
Ce livre rassemble pour la première fois, en plus de deux cents illustrations en couleurs, le résultat de trente années d'une recherche patiente et obstinée : « figurative » à l'ère du virtuel, « savante » mais jamais littéraire, sensuelle dans sa rigueur même, exlusivement dédiée, enfin, à la pratique de ce medium minoritaire, tout au long de l'histoire de l'art, qu'est le pastel. Recherche dont l'objet central serait moins l'obsolescence et l'usure des choses qu'au contraire leur miraculeuse résistance, leur présence vibrante sous une exaltante et fragile lumière de deuil.
Autour de 1930, un peu à rebours de l'époque, Serge Roche embrassa la cause du baroque. Fils d'un marchand d'art, qui devait finir aquarelliste réputé, il connut dès l'enfance les artistes qui fréquentaient, à Montmartre, la boutique familiale et n'étaient autres que Picasso, Renoir ou Pissaro. Fasciné par ces oeuvres d'art à la fois virtuoses et invisibles que sont les cadres et les miroirs, il en devint l'archiviste, l'érudit et le galeriste. Sa familiarité avec les décors rococo et les cabinets de glaces de l'Europe baroque, de Venise à Wurtzburg, eut une autre conséquence : il imagina et produisit meubles, objets et décors que se disputerait pendant plus de trente ans une clientèle choisie, de Chanel à Ali Khan. De stuc et de miroirs, ses consoles, ses obélisques, ses cheminées et ses objets décoratifs réinventent le répertoire des styles qui le fascinaient, jouant des brisures de lumière et des reflets d'eau morte des miroirs vieillis. Ses créations prennent place auprès de celles d'autres créateurs, tels André Arbus et Jean-Charles Moreux, qui se refusèrent à considérer l'ornement comme un crime et font aujourd'hui l'objet d'une réévaluation radicale.
Né à Los Angeles en 1957 et prématurément disparu en 1999, David Seidner a laissé une oeuvre aux registres multiples, encore largement méconnue. Dès ses débuts - il avait dix-huit ans lorsqu'il exposa pour la première fois -, ses séries personnelles jouent de l'image du corps et du visage à travers des processus de fragmentation, de découpage, de glissement, de diffraction et de condensation qui provoquent un sentiment proche de ce que Freud nommait « inquiétante étrangeté ».
Collaborateur des revues les plus prestigieuses, de Vogue Italie à Harper's and Queen et Vanity Fair, il assura durant plusieurs saisons les campagnes photographiques de la maison Yves Saint Laurent.
Les deux livres qu'il se vit confier par le Musée des Arts décoratifs - Moments de mode et Le Théâtre de la mode - sont aujourd'hui ardemment recherchés ; ils prennent place auprès d'Artists' Studios, sans doute son ouvrage majeur, où sont rassemblés les portraits, tant photographiques que littéraires, qu'il mit plusieurs années - et toute son énergie - à recueillir, établissant à sa manière une petite histoire de l'art contemporain.
Articulées autour de différents thèmes - corps fragmentés, nus, portraits, ainsi qu'une ultime, et éblouissante, séquence d'orchidées -, les oeuvres ici présentées allient le souci formel le plus extrême à la sensualité la plus raffinée, tout en restant soumises à ce qui fut peut-être le principe directeur de son approche : l'ouverture aux puissances créatrices du hasard, de l'aléa et du changement.
Cet ouvrage, publié à l'occasion de l'exposition « David Seidner » présentée à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent du 2 octobre 2008 au 29 janvier 2009, est le premier à remettre en lumière la force d'une oeuvre que diverses circonstances ont quelque peu maintenue dans l'ombre depuis la mort du photographe.
Charles-Germain de Saint-Aubin fut l'aîné d'une famille qui se consacra à la maîtrise de l'inutile. Virtuoses de l'infime, admirables d'ingéniosité et d'invention, ces figures réputées mineures du XVIII? siècle français furent tour à tour aquarellistes, graveurs, brodeurs, peintres de fêtes, de porcelaines et d'éventails. Ils ne consacrèrent leur énergie qu'à l'élaboration d'un luxe ruineux, à ce superflu qui ne leur était pas destiné et qui définissait l'existence comme dépense.Charles-Germain grava entre autres une suite de Papillonneries humaines, qui annonce Grandville et les surréalistes, reproduite ici dans son ensemble (ainsi que certaines des aquarelles originales qui lui servirent de modèle).
Dans cet étrange quartier de Paris où un Roi Doré donne son nom à une rue, des Enfants Rouges à un hôpital et des Filles Bleues à un couvent aujourd'hui disparu se trouve un endroit discrètement excentrique, consacré à la poursuite de l'animal par l'homme. Habité par les forces sourdes de la nature, il célèbre avant tout l'énigme que représentent pour nous ces êtres sauvages ou proches, réels ou mythiques.
Invité par l'hôte des lieux à en parcourir les salles, à en explorer les recoins, à en découvrir les détails secrets, un écrivain ne tardera pas à s'égarer dans cette topographie de l'enchantement, croisant au passage la Sirène des Fidji, un vindicatif Ndzoo-Ndzoo ou un étonnant agneau végétal, et retrouvant ainsi sans le savoir le propos d'un fantomatique Grand Veneur, maître de cet hôtel superbe où bien des apparences sont trompeuses.
D'une personne disparue ne nous reste qu'une poussière d'images et de moments, une suite incohérente d'instantanés qui persistent inexplicablement et, pour ainsi dire, s'alourdissent avec le temps.Le disparu, ici, s'appelle Roland Barthes; et ces quelques pages voudraient suivre les reliefs ténus qu'il a laissés dans la mémoire d'un ami, inventorier le disparate de quelques scènes, affronter les énigmes que laisse, dans l'esprit de l'un de ses proches, un homme qui fut un maître.
Nietzsche a séjourné cinq fois à Nice; lorsqu'il quitte une dernière fois la ville, le 2 avril 1888, c'est pour sombrer quelques mois plus tard dans la folie. À Nice, il retrouve la lumière d'acier, sèche et limpide, l'air «africain», la légèreté diététique, l'alacrité de pensée, les courants alcyoniens. Dans la librairie où il se rend régulièrement pour provoquer le hasard, il lève peut-être la tête du livre qu'il feuillette et croise le regard d'un jeune homme aux yeux clairs, philosophe lui aussi, aux thèmes et à l'écriture souvent étonnamment proches des siens, en qui il pourrait reconnaître son double. De Jean-Marie Guyau, célèbre alors, et destiné à disparaître quelques semaines plus tard, il ne reste plus aujourd'hui que quelques traces dans la mémoire des érudits, et l'ombre pâle d'un penseur fiévreux, trop tôt happé par la mort.
Le deuil d'un amour, la violence de l'abandon lancent un amant dans une errance sans fin, au coeur d'un Paris nocturne et déserté, traversé de présences furtives, ponctué de lumières faibles.
Dans la salle bruyante d'un bar où il trouve par hasard refuge, il se lie peu à peu d'amitié avec des présences fantomatiques, aux destins brisés. Rencontres qui lui permettent de se retrouver un peu, c'est-à-dire de se perdre dans un long thrène amoureux et dans les méandres d'une mémoire où se mêlent acteurs oubliés et travestis sarcastiques, personnages fameux - de Barthes à Warhol - et figures éphémères de la nuit : motifs désordonnés, dans les vapeurs de l'ivresse, d'une toile de fond ou de théâtre, sur laquelle se détache la forme brûlante d'une absence.
Du nord au sud de l'Europe, à la fin de la Renaissance, surgirent d'étranges endroits : secrets ou visibles, dans des demeures royales comme chez des notables ou des apothicaires, tenant à la fois de l'antre du magicien et de l'officine, les cabinets de curiosités rassemblaient, dans un espace souvent compté, un incroyable capharnaüm couvrant murs et plafonds, débordant des tiroirs et des cassettes.
S'y côtoyaient mappemondes et objets d'ivoire, monnaies antiques et crânes de singe, dents de géant et cornes de licorne, pierres magiques et queues de sirène, sans oublier de fascinants oiseaux de paradis qui passaient leur vie à voler, supposait-on, puisqu'ils n'avaient pas de pattes... La nature s'y mêlait à l'art, ou plutôt se transformait en art, et l'art en nature, dans une commune capacité à stupéfier, à faire surgir la merveille.
C'est à ces théâtres du bizarre qu'est consacré le présent ouvrage. On y retrace brièvement l'histoire du phénomène, on en montre les survivances et les transformations au cours des siècles suivants, on y évoque des figures peu connues de collectionneurs et d'amateurs attachés au culte de la curiosité ; on en souligne aussi l'influence sur certains des grands mouvements artistiques du XXe siècle, on en suit quelques-uns des développements dans l'art contemporain ; on considère enfin les motifs et les formes de la réinvention du cabinet de curiosités dans des décors et des cadres de vie actuels.
Voici les termes de la légende de Pierre Lesieur, inlassablement rapportés dans la poignée de livres et de brochures qui lui sont consacrés : il entre à l'Académie des beaux arts, un jour de 1940 (il a une vingtaine d'années) pour en ressortir trois jours plus tard. Il n'y mettra plus jamais les pieds. Cet enseignement ne lui va pas. Il lui faudra trouver une autre voie. Il n'en fera, littéralement, qu'à sa tête. N'exposant pour la première fois que douze ou treize ans plus tard, lorsqu'il se sentira prêt, ensuite assez régulièrement, à son rythme.
Outsider donc, et résolu. Solitaire, inclassable : un peintre qui aura quotidiennement, plus de soixante ans durant, travaillé en silence, dans un silence assourdissant, mais comme il se devait de le faire, avec une énergie sans faille.
Bien présent au monde, il aime très tôt à le parcourir, jusque dans ses terres les plus extrêmes. Et c'est le deuxième terme de sa légende, un long périple en 1958 ou 59, qui le porte en Extrême-Orient, aux États-Unis et au Mexique, où pourrait-on dire il trouve sa voie, qui lui apparaît comme l'occasion d'une véritable révélation. Je ne saurais évidemment juger de l'incidence réelle de ce voyage sur cette existence, sur ce regard. Le fait est qu'il donne le ton des années à venir, et d'innombrables périples en Inde, au Japon, en Chine, en Égypte, au Liban, en Jordanie, en Italie comme en Écosse... Itinéraire fluide d'un regard à fleur de monde, heureux de se laisser impressionner par les rythmes, les couleurs et les lumières de réalités tout autres.
On est toujours prêt à faire de Lesieur le peintre de l'enchantement, je le verrais plutôt comme celui du chatoiement lumineux du monde.
(d'après Patrick Mauriès)
Découvrez Dans la baie des anges - Ou La chanteuse magnétisée, le livre de Patrick Mauriès. Comme les fugitives figures d'espion que 1'on y croise, rien, dans ce livre, n'est ce qu'il a l'air d'être. Le paysage d'une ville qui inspira la malice de Jean Vigo et d'incandescents noir et blanc à Jacques Demy, la couleur de ses matériaux et de ses façades, des vies d'architectes baroques, d'humbles destins de femmes s'y mêlent à l'évocation du chant bouleversant d'une diva hypnotisée. Surgie de l'imagination d'un écrivain, elle devait, selon Henry James, lui coûter cher... Entre ces motifs, nulle solution de continuité, en apparence, si ce n'est de tremblants jeux d'échos et de reflets, l'intime conviction aussi de la nécessité du superflu. Le lien existe pourtant, qu'il appartient au lecteur de découvrir - comme il pourrait le faire du visage d'un inconnu dans les éclats d'un miroir brisé.
«Voici, se répondant de loin en loin dans le temps, quelques échos de ces dernières années. L'amour de la lecture, le souci de l'écriture, une approche intempestive de la littérature, le goût de l'ivresse, le plaisir des corps, l'irruption de la mort, la jubilation des rencontres, quelques figures d'écrivains et la danse, le démon de la danse : tels sont quelques-uns des motifs autour desquels gravite le récit, volontairement fragmentaire, d'une expérience. Ce sont des motifs de vertige. Avançons-nous : ils ne diront rien à ceux, si nombreux aujourd'hui, qui opposent tranquillement une décennie à la précédente, leur présent à leur passé, l'hédonisme au souci de l'autre, l'esthétique à la morale ou, de façon plus grossière encore, la vérité à la fiction.»
Le XVIIe siècle anglais est traversé par un corps radieux, en la personne de John Wilmot, comte de Rochester.
Né en 1647 à Ditchley, dans l'Oxfordshire, il meurt trois décennies plus tard, ulcéré, pantelant, " sans une convulsion ni même un grognement ". Malin, méchant, séduisant, il aura eu le temps de traverser l'Europe, de voir ses amis foudroyés lors de combats en mer, d'enlever puis d'épouser une héritière, de briller à la cour comme d'insulter son roi, d'investir pages et putains, de se travestir en médecin, de séduire les actrices, de lire voracement, d'aimer le parfum du cèdre et du genévrier, d'écrire enfin d'effroyables libelles, des pièces licencieuses, une correspondance fournie, et, accessoirement, quelques-uns des plus beaux poèmes de la langue anglaise.
Les livres s'opposeraient à la vie comme la caricature à son modèle ou le (pâle) reflet à la réalité. Doux rêveurs ou malheureux lunatiques, ceux qui «vivent dans les livres», ou ne savent pas secouer la poussière des bibliothèques de leurs habits.Voici le récit d'une passion contraire:voici quelques moments d'une vie, réelle ou imaginaire, bercée, ou creusée, par les livres, scandée par une poignée de lectures, autant qu'enlacée par les désirs charnels et les liens de la vie présente.Le crâne d'un prosateur admirable, un paysage de ville d'eau au coeur de l'Angleterre, la lumière du Sud, un nain hissé sur les épaules d'un géant sont quelques-uns des motifs de ce récit; motifs qui s'enchevêtrent comme autant de racines entortillées autour d'un corps aimé, et perdu. Car l'amour est au même titre que la lecture l'épreuve même du sort, ou d'une confondante coïncidence. Nous sommes bousculés de hasards; et nous n'avons d'autre choix que d'accepter, et d'aimer, au plus fort, les fruits de ce tumulte.
Créatrice singulière, farouchement indépendante, Line Vautrin imagina dans le Paris de l'immédiat après-guerre des objets d'une intense poésie. Poudriers, boîtes, broches, colliers ou cendriers de bronze doré, gravés ou émaillés, ils appartiennent à la fois à l'art du bijou, par leur délicatesse, et à la sculpture, par leur tactilité.Ce savoir plastique, Line Vautrin l'appliqua, à partir des années soixante, à une tout autre catégorie d'objets, et à un matériau nouveau, qu'elle nomma talosel. De fines feuilles de résine, disposées en strates, grattées, scarifiées, travaillées au feu étaient marquetées de minces éclats de miroirs, prenant les nuances les plus subtiles, évoquant l'ardoise ou le schiste, l'os et le bois rongés par le temps. Les oeuvres qu'elle exécuta dans cette technique jusqu'à sa mort, en 1997, sont aujourd'hui extrêmement recherchées et atteignent des cotes impressionnantes. Ils font désormais partie de l'histoire des arts décoratifs du XX? siècle.Ce livre est le premier à les restituer dans toute leur splendeur. Il ébauche une esquisse de répertoire des oeuvres désormais dispersées, en même temps qu'il éclaire les aspects symboliques, totalement méconnus, de ces objets fascinants, qui recueillent et diffractent la lumière, et où le feu des éclats vient sertir l'eau pure des miroirs.
En 1818, Charles-Frédéric Soehnée, jeune élève de Girodet, exécute dans la fièvre plus d'une centaine de dessins, de lavis et d'aquarelles. On y voit des caravanes de nomades, des cortèges d'exilés, des troupes de comédiens ou de fuyards qu'accompagne une faune monstrueuse de licornes et d'oiseaux à tête de cheval, de rats géants et de chauve-souris devenues voiles de bateau.
Suite libre ? Projet d'illustration pour un texte ancien ou à venir ? Rêveries opiacées ? Nous ne saurons sans doute jamais la rime et la raison de cette fantasmagorie singulière.
Soehnée n'a pas alors trente ans. Ce « Voyage aux enfers » achevé, il abandonne, semble-t-il, définitivement la peinture et se consacre à la mise au point d'un vernis, toujours utilisé aujourd'hui, qui fera sa fortune.
Le présent album, publié à l'occasion d'une exposition organisée par la galerie Jean-Marie Le Fell, rassemble pour la première fois l'ensemble de l'oeuvre d'un artiste secret qui ne passa qu'une ou deux saisons en enfer.