«Il était d'usage - et ce sans doute dès l'époque du texte lui-même - d'illustrer les manuscrits du Kâma Sûtra, mais aucun de ces exemples primitifs n'a subsisté : le climat de l'Inde n'est guère clément envers les feuilles de palmier qui servaient de support au texte ; la chaleur humide et les ravages causés par les fourmis faisaient qu'après quelques centaines d'années à peine il fallait recopier un texte. Les images dont nous disposons aujourd'hui, dont les plus anciennes datent du XVe siècle, témoignent, pour la plupart, de la forte influence exercée par la technique miniaturiste perse, introduite par les Moghols. La collection du Fitzwilliam Museum ne fait pas exception, mais la magnificence de l'incomparable style bikaner se retrouve aussi avec force dans certains éléments tels que les nébuleuses spectaculaires, les paysages luxuriants baignés de l'éclat lunaire et la perspective, étrangement incohérente parfois, que trace l'austère géométrie des formes architecturales. Quant aux attitudes frappantes des figures, elles sacrifient souvent la grâce à la satisfaction d'un désir impérieux.» Wendy Doniger.
Wendy Doniger, qui a succédé à l'université de Chicago à la chaire de Mircea Eliade, a consacré, comme lui, son oeuvre à la mise en relief des grands thèmes de la mythologie de l'Inde et à ses grandes divinités.Voici donc ?iva, la plus complexe et paradoxale figure de la grande trinité hindoue, divinité à la fois érotique et ascétique qui propose la victoire sur le Désir par l'assouvissement du Désir. Dans le schème si particulier de la mythologie hindoue, l'une des plus vastes et des plus luxuriantes qui soient, se trouvent exploitées jusqu'à leurs conséquences extrêmes ces deux pulsions fondamentales et - notamment pour les Occidentaux - si irréductiblement antinomiques de l'homme : la volonté de jouissance et l'aspiration à l'ascèse. Son ludisme exacerbé permet à ?iva de transcender tous les contraires et d'exprimer cet équilibre dans le mouvement, «cette incessante oscillation de la balance» que symbolise sa danse cosmique.Cet ouvrage, qui explore les phantasmes les plus extravagants de l'Éros, devrait avoir, comme l'a écrit Edmund Leach, le grand anthropologue anglais, «une influence majeure sur l'étude de la mythologie judéo-chrétienne ainsi que sur celle des religions de l'Antiquité» - et, pourrait-on ajouter, sur les spéculations de la psychanalyse.