Je suis allé me baigner.
J'ai nagé longtemps, la mer me lavait, je ne pensais pas. J'ai tiré jusqu'à l'île Gaby. J'en ai fait le tour, j'ai trouvé un endroit complètement désert, abandonné même des gabians piailleurs, et là, je me suis allongé sur la pierre, et j'ai fermé les yeux. J'affrontais ce que j'étais face à face. J'étais de nouveau entier et il fallait que je l'accepte.
Je vais vous raconter un secret, je me suis fait gronder.
Grand papa Jakob m'a puni. Que je vous explique : je m'appelle Schlomo Sigismund Freud. J'habite Vienne depuis peu. Avant, je vivais à Frieberg, en Moravie. C'est là que tout a commencé... D'abord, Grand papa Jakob n'est pas mon grand-père mais mon papa. Il me semble juste le plus puissant des hommes. Il dort avec Maman Amalie, et moi je ne suis pas d'accord. Pas du tout. C'est une erreur.
Que me restait-il des gros seins de la petite juive ?.
Il me restait, intact, le fantôme qui m'avait accompagné toutes ces années et pouvait maintenant, après sa métamorphose ultime, se fondre à mon esprit apaisé, au milieu de la lumière d'août, dans le tardif et trompeur éblouissement du monde.
" - Il est là, Tito est là !. Je passe de bras en bras, on était fou d'inquiétude, on me croyait mort, assassiné au bord du chemin. Elle me sourit à travers sa fièvre, je l'embrasse. J'avais douze ans, j'étais devenu un homme. Je passe un été merveilleux auprès d'elle. Je suis avec toi, maman, je ne te quitterai plus, tu ne risque rien. "
Dès l'arrivée à l'école, j'ai su que quelque chose clochait.
Mademoiselle Martin tirait une tête de trois pieds de long. Une nouvelle maîtresse nous attendait. Une blonde avec des lunettes et une robe rouge. Mademoiselle Martin a demandé le silence. Elle a tourné autour du pot à désastre aussi longtemps que possible, et puis elle a tout lâché d'un coup " Votre maîtresse a eu un accident. "
Nous, groupe historique des Compagnons des forêts, campeurs impénitents, étions obsédés par l'excellence, les costumes pailletés, les guitares pétillantes, les gros amplis.
Nonoss faisait dans la déglingue punk avant l'heure. Je repensais à toutes ces choses en le contemplant, chez Jeanjean, de l'autre côté de la table. Et je sus, de suite, que notre jeunesse était derrière nous.
- Dis Vévé, c'est grave de mourir ? - Ca dépend, ma chérie.
- De quoi ? - De si c'est toi ou pas. Et voilà, ça y est, j'ai peur de la mort des autres. Moi, j'aimerais qu'on m'emporte comme un confetti, une miette, un grain de sable, un fragment ténu qui subsiste et s'anime à la vie de ceux qui n'ont pas encore quitté la scène. Poussière, parasite, têtue, légère et tenace. Je crois que je ferais un fantôme assez encombrant.