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La fête foraine, qui a en partie déserté la vie, hante le cinéma. Il est né en son sein alors qu'elle se modernise au crépuscule du XIXe siècle. Cette parenté indique un désir commun : exciter la vue et façonner une expérience du mouvement et de l'extraordinaire, faire de ce que l'on voit ce que l'on vit. Dès lors, quand elle surgit dans le film, que fait la fête foraine au cinéma ? Pour élucider cette question et cerner cette intime relation, le livre revient aux années vingt, de Coeur fidèle d'Epstein à L'Aurore de Murnau. Il propose de regarder ensemble Entr'acte de René Clair et Anticipation of the Night de Stan Brakhage, de faire tenir ensemble Borzage et Ophuls, Bresson et Demy, Minnelli et Fuller, Welles et Hitchcock dont L'Inconnu du Nord-Express, comme on tourne sur un carrousel, revient régulièrement. Le cinéma s'invente depuis les attractions mécaniques : elles lui apprennent à tourner et révèlent une relation des cinéastes à leur art, une possibilité d'improvisation ou de machination. Certains trouvent dans leur rythme et leur narration un lieu puissant de figuration du désastre et de l'extase, de la réunion et de la désunion des corps. D'autres, parce que le cinéma et la fête foraine partagent un même plaisir du simulacre, mesurent la fiction aux histoires que suscite la foire. Si le cinéma apparaît comme le frère siamois de la fête foraine, il s'y frotte aussi à ses limites : parce qu'elle est avant tout un renversement, la fête foraine est une force qui déforme le film, l'excède et se joue de lui. Elle le réfléchit, dans un miroir déformant.
En quelques décennies, notre rapport à l'image s'est modifié. Des premiers ordinateurs personnels à la multiplication des écrans aujourd'hui, tout est devenu image mouvante, de l'interface informatique aux articles de presse que nous déroulons sur nos smartphones. D'un autre côté, la démocratisation des moyens de filmer et l'avènement d'Internet ont transformé presque tout citoyen en producteur et diffuseur d'images. Comment le cinéma, père de l'image animée, réagitil face à cette nouvelle configuration de l'audiovisuel ? Ce livre étudie les films qui ont fondé leur forme et leur récit sur les flux numériques, des fictions se déroulant intégralement sur l'écran d'ordinateur d'un personnage aux oeuvres qui réutilisent les images disponibles en ligne, de YouTube aux caméras de surveillance en passant par Google Map. Ensemble, ils dessinent une esthétique de la capture d'écran : une façon pour l'art cinématographique de répondre aux images en ligne en se les appropriant et en modifiant leur dispositif d'affichage, du petit écran LCD à la grande toile blanche. Si ces films semblent jouer avec une matière qui leur est extérieure, ils opèrent surtout le rôle de révélateur en décontextualisant nos images quotidiennes. Qu'ils mettent en évidence le cauchemar panoptique de Google Street View ou réalisent le rêve démocratique des plateformes de partage en ligne où la poésie serait faite par tous, ils mettent à nu, dans leur ensemble, les logiques des flux numériques en utilisant, justement, ces mêmes flux. Ce livre se veut être un point de départ pour comprendre ces films qui nous parlent de notre époque avec l'esthétique propre à cette époque, ne serait-ce, déjà, qu'en les regardant dans leur ensemble. Il est une analyse aussi concrète que réflexive d'une forme émergente, passant des enjeux légaux et techniques aux questions éthiques. Il montre ce que sont ces films de capture d'écran et, surtout, ce qu'ils ont à dire de ces autres images, désormais majoritaires.
La figure du ventriloque accompagné de sa marionnette sur les genoux est contemporaine de l'invention du cinéma. Simple coïncidence ? Son art, remarquons-le, s'inscrit dans l'histoire des médias techniques qui ont dissocié le corps de la voix, qu'il s'agisse du phonographe ou du téléphone, actualisant les puissances de la voix acousmatique. Curieusement le ventriloque apparaît à l'écran dès l'âge du muet en jouant sur le registre de l'étonnement et de l'inquiétude par des effets de dissociation et de dédoublement. Nombreux sont les films qui explorent sa personnalité insolite, ambivalente, en proie au larcin, à la simulation, au désordre psychique.
Au-delà de la présence littérale du ventriloque, on peut observer un usage plus métaphorique de la ventriloquie dans les effets fantastiques de la voix dissociée, le rôle du bonimenteur ou du traducteur, le contrepoint du visuel et du sonore. Autant de stratégies qui permettent, en dénudant le procédé cinématographique, en renversant le principe d'autorité, de donner à entendre des voix dissidentes.
Sans doute la ventriloquie trouble-t-elle l'opposition par trop schématique de la lettre et de la métaphore au gré de ses jeux de symétrie et de réversibilité. Qui est le ventriloque de qui ? Le critique est-il le ventriloque du film, ou l'inverse ? Ne sommes-nous pas devenus désormais les ventriloques de l'histoire du cinéma ?
L'univers singulier d'un écrivain rencontre parfois des échos inattendus dans des films qui lui sont a priori étrangers. C'est la thèse paradoxale de ce livre, inspiré par l'oeuvre énigmatique de Raymond Roussel, admiré des surréalistes. Révélés de façon posthume, ses procédés d'écriture, basés sur la stricte permutation des lettres, favorisent curieusement un imaginaire visuel féerique et fabuleux.
Si ses livres ne connurent pas d'adaptations au cinéma, leur influence secrète et latente transparaît en revanche, à la manière d'un fil rouge, dans de nombreux films. Il suffit pour l'observer de prêter attention à l'affleurement de figures poétiques chez des cinéastes qui opèrent des courts-circuits entre les mots et les images sous les motifs de la permutation (Buñuel, Greenaway, Ruiz), du rébus (Frampton, Smith, Snow), du double (Chaudouët, Duras, Fitoussi, Rivette) ou de la métamorphose (Maddin, Ottinger, Quay, Švankmajer).
D'où l'hypothèse d'un cinéma roussellien, à la croisée de l'expérimentation plastique et de l'invention narrative, caractérisé par une certaine dissipation figurative, quasi pyrotechnique.
« Et je me réfugie, faute de mieux, dans l'espoir que j'aurai peut-être un peu d'épanouissement posthume à l'endroit de mes livres », écrivit Roussel, ingénu, en guise de consolation.
Cinéma Roussel se propose d'offrir à l'écrivain un peu d'épanouissement posthume à l'endroit de ses films virtuels.
Étant entendu que tout film de fiction a sa part documentaire et tout film documentaire sa part de fiction, il reste, pour sortir le débat de la confusion qu'il suscite, à examiner les multiples modalités de cet échange. Le cinéma de Rob Rombout, qui ne s'inscrit pleinement dans aucune des deux catégories mais se situe dans l'intervalle très large qui les sépare, se prête particulièrement à cet examen. Pour ce cinéaste vivant à Bruxelles mais voyageant et travaillant sur tous les continents depuis trente ans, réaliser un film ne consiste ni à construire un univers né de son imagination ni à capter une réalité quelconque derrière laquelle il s'effacerait, mais à rassembler des fragments épars de réalité à la façon d'un pêcheur rapportant dans son filet des poissons de toutes espèces, et à les disposer à sa guise sur l'étal de son film. Chaque film de Rob Rombout est un voyage sur une distance qui peut être longue (parfois aux antipodes), au cours duquel le cinéaste multiplie les rencontres avec des gens qui racontent leur histoire. Certains expriment avec fierté le bonheur d'avoir vécu la vie qu'ils voulaient, tandis que d'autres témoignent des difficultés rencontrées à vouloir échapper aux contraintes de l'existence, qu'elles soient matérielles, sociales, raciales, affectives ou culturelles. Tous ont fini par accepter leur sort. Ces microrécits de vie qui questionnent la thématique récurrente du destin et de la liberté s'inscrivent dans un dispositif établi a priori par le cinéaste pour nouer des liens entre tous ces fragments. Il y a le film « corde à linge » qui tend un fil entre deux pôles et y accroche les récits divers de quelques voyageurs ; le film « dentelle » qui entrelace ses mailles entre plusieurs personnages qui ne se connaissent pas ; le film « étoile » dont chaque branche est associée à un point central auquel le film revient à intervalles réguliers ; le film « constellation » qui, sur un territoire parfois aussi vaste qu'un continent, dessine une figure imaginaire entre des lieux choisis arbitrairement, qui n'ont d'autres rapports entre eux que le fait de s'appeler « Amsterdam ». D'une intention artistique aussi affirmée qui intègre des fragments de réel dans des architectures savamment construites naissent des films « de style documentaire » (comme le disait Walker Evans à propos de son travail photographique) répondant toujours à une exigence artistique qui prime sur les réalités filmées autant que sur le discours que le cinéaste leur porte. Pour Rob Rombout, faire du cinéma revient toujours à faire oeuvre. Le livre adopte une structure aussi diversifiée que le cinéma de Rob Rombout. Un premier texte envisage globalement les enjeux esthétiques de l'oeuvre. Suivent ensuite les analyses approfondies d'une dizaine de films majeurs, illustrées de photogrammes et de photos de repérage et complétées par des interventions du cinéaste qui, interrogé par Guy Jungblut, détaille une multitude d'aspects de son travail en termes de production, de méthodes et de choix stylistiques. L'ouvrage est, par ailleurs, émaillé de codes QR qui donnent accès à des extraits de films.
Le piano n'est pas un objet ordinaire à l'écran. Dans les films habités de sa présence, ce meuble joue un rôle clef, qui éclaire la poétique des cinéastes. Cet essai s'attache à la cinégénie secrète de l'instrument de musique par excellence. On a cherché à identifier quelques figures majeures du piano, telles que de grands auteurs les ont façonnées. Douze haltes ponctuent ce chemin, depuis Max Ophuls et ses pianos-miroir et horloge, Jean Renoir et son piano-boîte à musique, et Jean Grémillon avec son piano-moteur. On rencontre le piano-coeur de Lubitsch, le piano-rêve que partagent Dreyer et Bunuel, le piano-radio de Borzage et le pianopensée de Sirk ; ainsi que le piano-outil d'Hitchcock et le piano-sentiment de McCarey. Enfin, on s'aventure dans les séries du piano-démon (avec Robert Wiene, Karl Freund, John Brahm, Robert Florey et Edmond T. Gréville) et du piano-porte-voix (en compagnie de Roy Rowland, Nicholas Ray, Jean-Claude Guiguet, Robert Bresson, Pier Paolo Pasolini et Jean-Luc Godard), le piano-ange de Jacques Demy demeurant à part. En prélude et postlude, on fête le piano-cinéma d'Oliveira et Grémillon, et le piano-âme d'un trio de poètes d'aujourd'hui :
Todd Haynes, Pere Portabella et Peter Sülyi. Après ce voyage, le lecteur ne considérera plus un piano dans un film du même oeil ni de la même oreille, c'est le bonheur qu'on lui souhaite.
À l'heure où les biographies filmées se multiplient et, en particulier, les biopics de peintres, il est bon de se rappeler que l'un des plus illustres d'entre eux a fait l'objet de centaines d'essais, livresques et cinématographiques. Cinq ans après la mort de Vincent Van Gogh naissait le cinéma. Documentaires et fictions ont, depuis, rivalisé de moyens pour raconter sa vie, approcher son art.
Regarder Van Gogh à travers l'objectif d'une caméra se distingue de l'observation et de l'analyse opérées par l'historien d'art, le critique ou le simple amateur. On ne s'étonnera pas de constater qu'il y a à peu près autant de Van Gogh que de cinéastes l'ayant filmé. Mais, après tout, la quarantaine d'autoportraits du peintre ne révèle-t-elle pas autant de facettes différentes de son visage ? Ainsi l'autoportrait dit au chevalet n'a-t-il pas grand-chose à voir avec celui à l'oreille bandée.
Suivre les aventures de cette vie confinant à la légende est une manière d'accompagner les fluctuations d'un discours sur le peintre et, plus généralement, sur l'art.
Plutôt que d'empiler les titres en mélangeant videos muséographiques et documents pédagogiques, j'ai jugé préférable de choisir neuf films réalisés en l'espace d'un demi-siècle, approximativement depuis le centenaire de la naissance de Van Gogh jusqu'à celui de sa mort. Ces films ont pour point commun d'être d'abord des oeuvres de cinéma. Le peintre est leur prétexte et non leur but. Ce faisant, ils se soucient d'abord d'art cinématographique avant de rendre justice - si tant est qu'il faille le faire - à leur sujet, leur « motif ».
En retour, comme un miroir tendu à la caméra, la figure vangoghienne éclaire le cinéma dans sa recherche d'authenticité et, surtout, d'autonomie. Il s'agit donc de faire oeuvre avec et par l'oeuvre d'un peintre, c'est-à-dire un confrère. Et, dans la multiplication des images, Vincent disparaît peu à peu en persévérant dans son art.
Le flou, dans son acception commune, est d'abord le signe d'une déficience, un manque de définition. Aussi le langage cinématographique, dans ce qu'il a de plus convenu, nous a-t-il habitués à considérer le passage du flou au net comme une forme d'actualisation : la forme floue, l'image bougée, sont de simples substrats de l'image nette et stable dans laquelle elles s'accomplissent et se stabilisent, en atteignant, dans l'idéal, la précision de contours et de détails propre à la HD.
Tout semble pourtant prédisposer l'image de cinéma au flou : captée et perçue dans la durée, soumise aux variations de la lumière et du mouvement, elle est aussi sujette à toutes sortes de métamorphoses optiques et chimiques qui déclinent à l'infini la palette du vague, du brumeux, du filé.
Entre évanescence et opacité, le flou tantôt tire l'image vers l'immatériel (c'est pourquoi le fantôme hante volontiers les zones floues de l'image) ou vers la matière (vers le pictural). Il est sensation, translation de la vitesse ou des mouvements du corps à l'image, glissement de la vision vers le toucher, perception du chaos extérieur. Mais il est aussi aussi manifestation de l'image mentale, du rêve, de la réminiscence. Le flou inscrit enfin l'image de film dans un champ artistique ouvert : flou d'ensemble, il brouille la frontière entre cinéma et peinture ; flou d'apparition (de mise au point), il renvoie le cinéma à ses origines photographiques, argentiques - à l'émergence progressive de l'image sous l'effet du révélateur - et à l'orchestration du désir de voir.
Dans la mesure où elle exclut toutes les formes irréalisées de l'image floue, l'image nette n'en est-elle pas, au bout du compte, une version appauvrie ?
Cet ouvrage rassemble des études s'efforçant de repenser à nouveaux frais la question des relations entre le cinéma et les arts plastiques. Cette question, vieille comme le cinéma, comporte une multitude d'« entrées », de facettes qui sont dans un premier temps synthétisées, puis explorées à partir de cas particuliers qui permettent de dépasser des généralités.
Entre l'appel d'Aragon (son article « Du décor » en 1918) à voir les avant-gardes s'emparer du cinéma et l'appropriation de plus en plus courante dans les arts actuels des techniques *lmiques et du cinéma comme machine, spectacle, modalité temporalisée de la représentation, que s'est-il passé ?
Pour qui se trouve, comme Charlot, à claudiquer de part et d'autre d'une frontière d'ailleurs incertaine entre ces deux « champs », la recherche des proximités et des différences s'impose sans cesse à l'esprit, mettant à jour l'inégalité de statut entre les oeuvres et leurs signataires de part et d'autre, mais aussi les continuels transferts, échanges, greffes et rapports de domination réciproque. Il n'est sans doute pas exagéré, en effet, de dire que presque tous les grands artistes du XXe siècle ont été tentés (Picabia, Klein), ont pratiqué (Léger, Hains, Warhol, Serra, Nauman) ou ont côtoyé le cinéma (Picasso), y compris pour le refuser (Malévitch, Delaunay). Et que bon nombre de cinéastes ont cultivé une af*nité pictorialiste (Feuillade, Kubrick, Godard).
En même temps, l'exploration historique du contexte d'apparition du cinéma met en évidence ce qu'Eisenstein a appelé le « cinématisme » à l'oeuvre dans les arts plastiques - pour ne parler que d'eux - avant, pendant et au-delà du cinéma : une recherche de la mise en mouvement ou de la restitution du mouvement et de la durée. Un curieux chassé-croisé règle bien souvent les rapports des cinéastes et des artistes : les premiers ont voulu, dès les débuts du cinéma, légitimer leur « art » en reprenant à leur compte des valeurs esthétiques (composition de l'image, clair-obscur), au moment même où les artistes entendaient sortir de ces dispositifs esthétiques en recourant au contre-exemple du cinéma le plus brut (comique des premiers temps, vues Lumière). De nos jours, les cinéastes indépendants et expérimentaux participent pleinement aux problématiques de l'art contemporain au point d'envisager leur « entrée au musée » - être montrés dans des expositions -, et certains artistes opèrent un mouvement inverse en valorisant les attributs du cinéma industriel de masse, son imagerie et ses procédés narratifs. Les échanges et les contaminations n'ont donc pas cessé entre deux champs que l'économie continue cependant de séparer ; les textes qu'on trouvera ici réunis abordent l'un « au risque » de l'autre.
La pluie, météore ordinaire, a souvent mauvaise réputation : elle assiège l'horizon d'un voile gris-noir, vide les lieux, et pousse au refuge. La pluie contraint, limite, et importune. Le monde du cinéma accueille difficilement cet aléa météorologique qui perturbe les plans de tournage. Le plus souvent, les cinéastes font parader la pluie pour engendrer chez le spectateur un sentiment de tristesse, pour ponctuer une narration ou charger l'atmosphère d'une dimension tragique. Il s'agira dans cet essai de dépasser le seul constat climatologique d'un Il pleut dans l'histoire, de questionner des images de pluie qui l'emportent sur la simple « fioriture » atmosphérique et qui combattent les clichés.
Béla Tarr, Andreï Tarkovski, Naomi Kawase, Joris Ivens, Brillante Mendoza, William Wellman ou encore Akira Kurosawa ont su donner à la pluie une estime, un espace, une temporalité. Dans leurs films, la pluie n'est pas simplement un ruissellement décoratif qui emplit le cadre. La pluie y est un motif, une figure vivante qui dynamise l'espace cinématographique. Elle s'y propage tel un courant, un flot, un flux, une énergie physique ; elle stimule, accroche, ralentit ou déstabilise le récit par sa vitalité. Ces cinéastes n'utilisent pas la pluie pour étoffer anecdotiquement l'ambiance d'une scène, mais l'y intègrent comme une vigueur réelle qui précise, bloque ou façonne l'état des choses. Ces pluies affinent la perception des lieux, des paysages, et remuent, selon leurs caractères calmes, violents, passagers ou durables, l'existence des hommes.
Partant d'Henri Storck et courant jusqu'à l'année 2000, l'ouvrage met en exergue vingt documentaires parmi les plus remarquables de ce siècle, vingt classiques du cinéma documentaire belge francophone, une sélection opérée sur base de plus de mille oeuvres réalisées par quelque deux cents documentaristes.
Samuel Fuller a occupé une place centrale de la cinéphilie française et pourtant peu d'ouvrages ont été consacrés à la ré&exion sur son oeuvre. Faut-il y voir la conséquence d'une sorte de sidération éprouvée à la vision de +lms gorgés d'une paradoxale brutalité qui se heurta parfois à un aveuglement idéologique ? Peut-être. Génial raconteur d'histoires, dont certaines nourries par l'expérience de quelqu'un qui fut aux premières loges des horreurs de l'Histoire du XXe siècle (la Seconde Guerre mondiale et la découverte des camps qu'il vécut en fantassin de l'armée américaine), l'auteur du Port de la drogue occupa pourtant une position singulière à l'intérieur d'un système qui sembla accepter les obsessions et les transgressions d'une oeuvre subvertissant, jusqu'à les faire exploser, les genres et les catégories d'une industrie cinématographique entrant dans une crise fatale. Les textes réunis ici, abordant d'abord la +lmographie de Fuller de façon transversale et s'attachant ensuite à l'examen, tout à la fois passionné et méticuleux, de chacun des +lms, démontrent la fascination qu'exerce encore, et peut-être plus que jamais, un cinéma où la violence baroque s'accorde avec une douceur imprévue, un cinéma où les contradictions du monde sont rendues intensément sensibles et où, parfois, les valeurs s'inversent. Une oeuvre où le choc n'exclut pas la caresse.
En relisant après sa mort tous les textes (critiques, entretiens) écrits par Luce Vigo pour diverses publications (essentiellement Les Lettres françaises, Jeune Cinéma, Révolution), émile Breton a été particulièrement frappé par la singularité de ses entretiens, leur ton amical ou parfois impertinent, grâce auquel elle parvenait à créer des échanges particulièrement directs et intimes. Dans sa longue carrière de journaliste, Luce Vigo a pu s'entretenir avec de nombreux cinéastes, et certains des plus grands (Resnais, Truffaut, Rivette, Rozier, Garrel, Oliveira...), non sans être très attentive à leurs héritiers, ceux qu'elle a pu découvrir chaque année, notamment au Prix Jean-Vigo dont elle assuma la présidence jusqu'à sa mort. De voyages en festivals, elle eut aussi à coeur de s'intéresser à des réalisateurs étrangers et de suivre l'évolution de cinématographies mal considérées, comme en témoigne la seconde partie de cet ouvrage. Est présentée ici une sélection de quelques-unes de ses nombreuses rencontres avec les cinéastes durant quarante ans, des entretiens aussi passionnants que rares, jamais republiés à ce jour. À la nécessité de les sauver de l'oubli s'ajoute celle de les rendre disponibles aux cinéphiles et aux chercheurs.
Transparence de sa baie vitrée, reflets du flipper et chromage des machines à bière et à boissons chaudes, le café multiplie les éclatements et les faux raccords dans notre environnement. Seuil entre un espace public, celui de la rue et de la ville, et un espace privé et intime, celui de nos habitudes et de nos trajets quotidiens, le café devient un espace-tampon qui déréalise le monde et nous déporte sans cesse.
Ce café-mobile qui reflète les heures de la journée et les saisons de l'année, qui échappe aux grandes institutions et qui reste confiné à la précarité du quotidien, a permis au cinéma d'ouvrir les écrans aux « petits riens » de l'existence qui font l'air du temps. Et ce n'est pas un hasard si le café-bistrot devient le décor non théâtral privilégié du cinéma de la Nouvelle Vague. Le café, lieu de déperdition de la jeunesse, de la paresse et de l'oisiveté, du temps qui passe et du temps perdu, devient le catalyseur parfait d'un cinéma qui se détourne de l'action et s'ouvre à une sentimentalité de comptoir. Le cinéma y devient un cinéma d'ambiance - de cette couleur changeante, de cette sorte de longueur d'onde ou de vibration spéciale du quotidien, d'une tonalité affective toute en surface.
Depuis 20 ans, le cinéma chinois connaît un développement foudroyant, en phase avec l'essor de ce pays. Nul n'incarne mieux cette évolution que le réalisateur Jia Zhang-ke, révélé en 1999 avec son premier film, Xiao-wu artisan pickpocket. Son cinéma se distingue par la modernité de son écriture, nourrie par la réinvention des rapports entre fiction et documentaire, par les usages inventifs des nouvelles technologies, par la créativité des relations entre l'intime et le collectif à l'échelle d'un pays d'un milliard et demi d'habitants.
Les films de Jia sont en effet, et du même mouvement, oeuvres d'un grand artiste contemporain et témoignages sensibles des gigantesques mutations qui affectent la Chine, et le monde entier. Des titres tels que Platform, The World, Still Life, A Touch of Sin et Mountains May Depart jalonnent un parcours esthétique à la fois extrêmement cohérent et en constant renouvellement. Ils accompagnent la construction patiente d'une place centrale dans la culture de son pays malgré les immenses obstacles liés à la censure.
Et ils racontent, selon un point de vue original et pertinent, ce qui s'invente avec le XXIe siècle. Un long entretien mené avec le réalisateur sur les lieux de son enfance, ces lieux de travail et de tournage, un texte historique établissant la place de Jia dans le cinéma chinois et dans le cinéma actuel, une notice critique consacrée à chacun de ses films, longs et courts métrages, enrichis de plusieurs éclairages dont des entretiens avec ses principaux collaborateurs, et des textes de Jia inédits hors de Chine, font de ce livre le premier ouvrage offrant une visibilité et une compréhension exhaustive de l'oeuvre de ce cinéaste, et de son importance majeure.
Le cinéma a été l'invention d'un siècle obsédé par la découverte et la maîtrise du monde visible et connaissable. De là à penser qu'il était une machine à enregistrer et à garder mémoire, il n'y avait qu'un pas, presque toujours franchi. Dans l'esprit collectif, c'est entendu : le cinéma, c'est la mémoire des choses passées (définition, par ailleurs, de l'Histoire).
Dans ce bref essai, on teste l'hypothèse contraire : et si le cinéma, au fond, était plutôt une grande machine à oublier ? Déguiser la réalité en la laissant envahir par des puissances d'image ; lui donner une forme lacunaire, qui en laisse de côté définitivement des pans entiers ; affronter la mémoire collective en la remodelant et en la vouant au grand récit, c'est-à-dire à la déformation ; jouer avec le temps à ses limites. Ce n'est peut-être pas un hasard si tant de films ont repris et varié le scénario de l'amnésie.
« Seule la main qui efface peut écrire le mot juste » : l'écrivain et linguiste Bertil Malmberg avait trouvé la formule frappante, que Godard a reprise et qui convient si bien au cinéma. C'est parce qu'il est instrument d'oubli qu'il peut, finalement, jouer vraiment son rôle de mémoire des choses du monde et des événements passés - tout simplement parce que la mémoire n'est pas un trésor qu'on accumule sans fin, mais un processus, interminable.
Que la ville de Ferrare ait construit le regard d'Antonioni est une hypothèse plausible, mais comment prouver l'intuition ? L'auteur choisit le modèle de la fiction documentaire pour tenter une réponse. On lit d'abord une promenade solitaire dans la ville. Il n'y est question ni de cinéma , ni d'Antonioni. Puis une conversation s'engage, avec un personnage rencontré par hasard, spécialiste d'Antonioni. C'est lui qui va quasiment monopoliser la parole, sous le prétexte de vérifier ses hypothèses avant de les présenter en colloque. Deux soirées, deux repas, deux longs monologues plus tard, les lignes ont bougé. Le récit se termine par une nouvelle balade solitaire, en direction de la mer cette fois. En parallèle, un travail photographique « illustre » les propos, mais pas seulement. Il s'agit aussi d'un regard particulier sur Ferrare. Et là encore, la ville finit par dicter sa loi : certaines photos s'imposent comme résolument antonioniennes.
À quoi ressemblent les coulisses d'une cinémathèque ? Peu ont eu la chance de les découvrir. 75000 FILMS est un voyage très personnel à travers ce territoire inconnu, guidé par les photos de Xavier Harcq, Jimmy Kets et Marie-Françoise Plissart et par les textes de David Bordwell, Eric de Kuyper et Dominique Païni. Six points de vue différents sur une cinémathèque : ses activités, son rôle, ses espaces, ses femmes et ses hommes, et les gestes de ceux qui font en sorte que les films - cette « matière dont sont faits les rêves » - puissent vivre pour toujours.
Une petite partie d'un travail d'écriture qui s'est étalé sur une vingtaine d'années. Des textes de toutes origines s'y côtoient, de la critique pure à la présentation de programmations pour la Cinémathèque en passant par des articles destinés à des revues ou des ouvrages collectifs.
Il ne faut pas forcément chercher dans les choix effectués la synthèse exemplaire et cohérente d'un goût cinéphilique particulier. Beaucoup de noms manquent à l'appel même s'il était inimaginable qu'il n'y ait pas au moins quelque chose sur Jean Renoir, le seul cinéaste qui m'ait "appris à vivre". Sinon, il était peut-être important que soit visible cette contradiction (mais en est-ce une?) qui mélange un goût hérité de la lecture, très jeune, des Cahiers du cinéma, dans le désordre et toutes périodes confondues, avec une appétence pour des formes dites mineures ou marginales, les chefs- d'oeuvre estampillés avec le cinéma dit bis, le théorique et le tripal.
Un résidu d'enfance guidé par un pur principe de plaisir ? Peut-être. Et puis renouveler à l'infini le geste cinéphilique d'ennoblir un mauvais objet ne se refuse pas. Finalement, si programmer des films c'est écrire une histoire du cinéma, écrire c'est aussi programmer son propre goût.
Pascal Kané appartient à la génération de l'équipe rédactionnelle des Cahiers du cinéma (Daney, Toubiana, Bergala, Bonitzer, Oudart) qui importa dans la critique et l'analyse de films, une sensibilité idéologisée, teintée de psychanalyse, qui de 1969 et durant les années 70, prolongea en cinéma la puissance de la French Theory en vogue à cette époque (Althusser, Barthes, Lacan, Foucault.) et cela après le bouleversement politique et moral entraîné par les « événements de mai 1968 ».
L'écriture de Pascal Kané est, indépendamment de sa belle acuité critique, une des plus exemplairement représentative de cette période.
Ce livre s'inscrit dans la collection MORCEAUX CHOISIS qui s'attache à rassembler des textes dispersés au long de carrières d'écrivains de cinéma et dont le recueil permet une lecture actualisée. Des rapprochements ignorant la chronologie de la publication initiale, révèlent la cohérence invisible d'un goût étalé et parfois dissout au long d'une pratique critique soumise à l'actualité et la nécessaire réactivité immédiate.
Pourquoi au cinéma la neige possède-t-elle ce curieux pouvoir de rester en mémoire jusqu'à se substituer parfois au souvenir du film lui-même ? C'est en partant de cette question que l'ouvrage tente d'explorer quelques modalités de la neige filmée, élément privilégié d'une météorologie du septième art qui n'est pas exactement superposable à celle du monde empirique. À partir d'une vingtaine d'exemples pris dans des époques variées, de Murnau à Hou Hsiao-hsien, de Borzage à Fellini, de Renoir à Resnais, il s'agit de déployer les aspects majeurs du motif retenu qui constitue une modalité du paysage filmique autant qu'un facteur de perturbation interne au plan. En raison de sa blancheur comme de son pouvoir réfléchissant, la neige permet un traitement singulier de la lumière et de la couleur.
Qu'elle couvre ou traverse la surface de l'image, elle participe en outre à un effetécran.
Utilisée pour la mobilité de ses flocons, sur des rythmes changeants, la neige exalte aussi une mobilité qui renvoie directement au principe du cinéma, en tendant parfois vers l'informe et la dissolution de la figure. De la sorte, on constate qu'elle constitue une dimension majeure de la matière même de l'image cinématographique, conduisant à évoquer le lien entre neige et fiction. Un tel parcours montre que la neige est, à la fois, au coeur de la dynamique propre aux images mobiles et qu'elle souligne, de manière sensible, leur aspect insaisissable qui renvoie à leur dimension temporelle.
Lynch, Bogart et Matrix, Tarantino et Face/Off, Fincher ou Laura...
Et Sade. Ce livre est un labyrinthe de fantaisie, une inquiétante broyeuse, une diagonale de fou : sur le dos d'un sujet farouche - le cinéma " néo-noir " américain contemporain et ses avatars -, souvent négligé par la théorie pour manque de consistance et par l'histoire faute de recul, émerge une pièce démontée, un inextricable mille-feuilles (une couche de peau, une couche de pellicule), une démonstration aporétique lumineuse de noirceur.
En pointant les matières récurrentes et les composantes sadiennes communes à un sidérant corpus, au fil d'une écriture fracturée et de raccords cut, ce Palimpseste opère à vif (contamination et sutures) l'histoire des formes littéraires et filmiques ; il fait surgir de nouveaux rapports plastiques ou thématiques et rend à une large frange du cinéma, la plus dominante et proliférante, la part d'ombre qu'elle doit au maudit marquis - dont le texte obsédant est ici malignement déployé.
Sans avoir l'air d'y toucher (la contagion fait des trous inquiétants), voilà un essai qui, enfin, veut en découdre sans préjugés et rentre pour de bon dans la chair du cinéma américain contemporain, osant avec lui un corps à corps paradoxal, au propre et au figuré : aussi apparemment détaché et ludique que réellement périlleux et virulent.