BRILLANTE ETOILE!
Brillante étoile! que ne suis-je comme toi immuable - / Non seul dans la splendeur tout en haut de la nuit,/ Observant, paupières éternelles ouvertes,/ Comme de Nature le patient Ermite sans sommeil,/ Les eaux mouvantes dans leur tâche rituelle/ Purifier les rivages de l'homme sur la terre,/ Ou fixant le nouveau léger masque jeté/ De la neige sur les montagnes et les landes - / Non - mais toujours immuable, toujours inchangé,/ Reposant sur le beau sein mûri de mon amour,/ Sentir toujours son lent soulèvement,/ Toujours en éveil dans un trouble doux,/ Encore son souffle entendre, tendrement repris,/ Et vivre ainsi toujours, - ou défaillir dans la mort.
C'est le texte remanié de la traduction, parue en 1974, de ce chef d'oeuvre de poésie et d'humour noir du théâtre irlandais, qui fit scandale en 1907 à Dublin et que saluèrent très tôt Yeats, Apollinaire et Breton. Tout le monde connaît l'histoire du Baladin qui se vante d'avoir tué son père, puis manque de le faire pour de bon après le retour inopiné de celui-ci au deuxième acte ; autant le récit du parricide éblouit les femmes, autant sa possibilité réelle leur répugne. Cette pièce d'un humour dévastateur et d'un lyrisme sauvage, dans laquelle chaque réplique est « aussi savoureuse qu'une noix ou qu'une pomme », est d'une vitalité proprement irrésistible.
« Il faut lire la préface de Synge, écrit Martine de Rougemont, pour apprécier la justesse et la nécessité de la version qui paraît aujourd'hui. Le texte de Fouad El-Etr est évidemment passé par le « gueuloir » : il se dit, il se chante, il respire. Fidèle à l'esprit, à la lettre, à la cocasserie de Synge, il réussit le tour de force d'être aussi théâtral que lui. »
Les quatre chansons réunies sous ce titre constituent un ensemble unique dans l'oeuvre de Dante. Empruntant leur forme aux constructions complexes des troubadours qui pratiquaient la poésie hermétique du trobar clus, notamment Arnaut Daniel, inventeur présumé de la sextine, qu'il admirait, le poète exprime ici une passion sensuelle d'une violence inhabituelle chez lui, qu'on a pu comparer aux vers brûlants d'Archiloque à Néobulé. Le ton et l'intensité de ces rimes laissent penser que Donna Pietra, qu'il s'agisse de son prénom ou d'un surnom né de sa dureté, a bien été une créature de chair, qu'on a parfois identifiée avec Pietra Scrovegni de Padoue et à laquelle l'éditeur s'est résigné à prêter le profil impassible d'une jeune fille de Raphaël.
Cet essai s'ouvre sur la distinction traditionnelle entre raison et imagination, et d'emblée définit la poésie comme « l'expression de l'imagination ». Évoquant Dante ou Milton, Homère ou Shakespeare, Shelley réfléchit, tout en images, sur l'essence de la poésie, de l'harmonie, du plaisir et de l'inspiration poétiques, et s'efforce d'intégrer à la poésie toute une vision de la culture et de l'histoire. « La poésie est une épée de foudre toujours dégainée qui consume le fourreau qui voudrait la retenir. » Il n'est pas étonnant que ce chef d'oeuvre de critique et d'autoportrait poétique rappelle par ses affirmations plus d'un fragment de Novalis ou de Schlegel et notamment la plus connue d'entre elles qui clôt l'essai : « Les poètes sont les législateurs non reconnus du monde. » Il disparaît sur son voilier, L'Ariel, au large de Pise en Toscane.
Alors que Bartley, sur le point d'embarquer avec sa jument et son poney pour les vendre à la foire, fait ses adieux à ses soeurs et à sa mère, celle-ci reçoit les habits d'un noyé qui pourrait être un autre de ses fils. À peine l'a-t-elle identifié, on lui ramène le cadavre de Bartley que le poney a précipité du haut de la falaise. Nous assistons à l'effondrement de la vieille femme, égrenant sur scène, dans une langue d'une beauté antique, la litanie de ceux que la mer a fini de lui prendre jusqu'au dernier, laissant toute la place à la douleur désormais dans sa vie : « Qu'est-ce qu'on peut vouloir de plus ? Personne au monde ne peut vivre toujours, et nous devons tous consentir. » Remaniant son texte de 1975, Fouad El-Etr donne ici une traduction admirable de rythme et de dépouillement de cette pièce en un acte, un classique du genre, dans laquelle Synge atteint le sommet de l'art tragique, chant pur, intime, intemporel, qui touche au silence.
La pièce met en scène une saga héroïque de l'Irlande d'autrefois, dans laquelle Deirdre, promise au vieux roi Conchubor, lui préfère la compagnie de Naisi et de ses frères dans les forêts où ils mènent une vie libre et sauvage et les malheurs qui leur sont prédits si elle refuse de l'épouser : « Je ne vivrai pas pour me faire enfermer (...) et nous ferions peut-être mieux de le payer, Naisi, par une vie de silence et une mort prochaine. » Ce chef d'oeuvre, resté inachevé à cause d'un cancer fulgurant qui devait emporter Synge, est encore plus beau d'avoir été écrit dans l'urgence d'une langue d'un lyrisme exacerbé par la proximité de la mort, dont l'étau inexorable se resserre, comme dans les tragédies antiques, autour de Deirdre et de ses amis, et de leur auteur, accomplissant leur destinée commune sous nos yeux : « N'est-ce pas bien peu de chose qui a été prédit, Naisi, sur notre perte, alors que tous les hommes ont leur âge devant eux, et grande ruine tout au bout ? »
Une belle bohémienne, Sarah Casey, décide un prêtre à l'unir à Michael Byrne, un rétameur avec lequel elle vit, moyennant une pièce d'or et un pot de fer-blanc, mais elle finit par y renoncer devant la grossièreté du prêtre et l'hostilité de la mère de Michael, une vieille pocharde qui a échangé, la veille du mariage, le pot de fer-blanc contre une pinte de bière. Dans cette farce impitoyable comme une gravure de Hogarth, Synge s'en prend, dans un pays profondément catholique, à l'hypocrisie des hommes d'église, et dépeint, dans des scènes cocasses et une langue imagée, le vieux prêtre approché, apprivoisé, abreuvé, confessé, bâillonné, ligoté puis libéré sous caution de n'en rien dire sous les blasphèmes et les rires.
Dans cette pièce en trois actes au pessimisme désabusé, Synge met en scène un couple d'aveugles qui recouvrent la vue grâce à une eau miraculeuse, découvrant du même coup et leur propre laideur et la méchanceté des hommes et des femmes qui les entourent. Redevenus aveugles, ils refusent d'être les victimes d'un nouveau miracle, préférant le bonheur de cette deuxième cécité qui leur fait retrouver leur monde intérieur, bien meilleur et plus beau d'être seulement imaginé. « Des merveilles, j'en ai trop vues en peu de temps pour une vie d'homme », s'exclame amèrement Martin Doul, qui a gardé « l'oreille pour entendre dans les mots les mensonges. » Dans des répliques et des tirades d'un athéisme au moins blasphématoire pour des oreilles irlandaises, Synge exalte le tempérament de tout un peuple qui préfère le rêve à la réalité sordide, et les poètes visionnaires, et la magie des mots.
Le vieux Dan feint d'être mort pour mettre à l'épreuve Nora, sa jeune et jolie femme. Celle-ci demande à un vagabond de passage de veiller le mort, le temps d'alerter Michael, son amant. Mais elle est également rejetée par le cadavre qui se relève dans son lit et par l'amant terrorisé puis dépité. Ne supportant ni la solitude ni « l'oppression des collines », Nora, dont on a rapproché le personnage de celui d'Hedda Gabler d'Ibsen, sera emmenée par le vagabond que le hasard a fait témoin de cette scène, parce qu'il « parle drôlement bien ». Dans cette pièce en un acte, féroce, drôle et lyrique, d'un pessimisme désespéré devant la vieillesse et la mort et l'hypocrisie des hommes, le personnage du vagabond, qui n'a d'autre demeure que sa langue et la nature la plus sauvage, symbolise le mieux pour Synge le goût celtique de l'évasion hors du réel dans un monde de rêve et de poésie.
Voici un nouveau choix de poèmes de W. B. Yeats dont certains étaient encore inédits en français : des poèmes romantiques de ses débuts aux poèmes ésotériques et visionnaires du grand âge, cette anthologie condense en fait tout ce qui est essentiel dans la poésie de Yeats, ce qui en fait le ton unique et irremplaçable, du sentiment dépouillé de la nature occidentale d'Irlande aux complexes constructions mentales d'une culture de retour à ses sources orientales, sans oublier les poèmes d'amour tour à tour triomphants ou désespérés de celui qui y consacra sa vie. Vingt-trois poèmes qui trouvent une autre unité en français cette fois-ci, celle que leur donne Fouad El-Etr, leur traducteur.
Le premier de ces poèmes en prose donne son titre au recueil où se distribuent, comme dans un kaléidoscope, les souvenirs d'une enfance heureuse et rebelle à Harbin en Mandchourie pendant la guerre.
On voit défiler les figures tutélaires de la vieille babouchka qui lui nomme les fleurs et de Vassili, le vieux portier chinois affublé d'un nom russe, et tous ses camarades du « dernier rang de la classe » ou du jardin : son ami Ken et Harumi dont elle tolère la présence avec détachement, Galia et Tata et la fille blanche dont elle est jalouse, et les jumelles qu'elle retrouve chaque jour endormies dans leur fauteuil, « deux sommeils identiques face à face, comme l'image double de la Dame de pique ». Avec un art d'une concision impitoyable, elle détaille les séances de torture chez le coiffeur, un cheval mort dont les dents découvertes « suggèrent la douleur qui a précédé » et le « spasme, comme une douce ondulation de velours, qui traverse le corps d'un cochon qu'on vient d'assommer. »
C'est la première pièce de Synge, mais elle n'a été publiée qu'en 1954, et sans doute n'a-t-elle jamais été jouée. L'argument, une jeune et jolie religieuse quittant son habit pour le neveu de l'homme dont elle vient de veiller la dépouille, y est pour quelque chose ; on pense évidemment à l'émeute soulevée pour moins que cela par la première du Baladin du monde occidental. Dans des répliques fulgurantes, culminant en tirades lyriques et en poème symphonique, on devine ce que seraient un jour la langue et le théâtre de ce poète : d'une intense spiritualité mêlée d'un scepticisme lyrique désespéré, d'une poésie vivante coupée d'un humour dévastateur, surgi des situations les plus solennelles ou tragiques comme chez Shakespeare, comme dans la vie.
Avec cette pièce, Fouad El-Etr achève de traduire, dans une langue à la fois poétique et familière, et de même amplitude, le théâtre de Synge, dans la variété mélodique de tant de personnages et de pièces, des tournures gaéliques, dont il recrée la charge de fraîcheur, au tragique le plus acéré des tragédies antiques.
Seul un poète peut traduire un poète comme Yeats et c'est ce qu'a fait Fouad El-Etr, dont le choix de poèmes romantiques, même empruntés à des recueils différents parus de 1898 à 1939, préserve l'unité que leur donne l'inspiration amoureuse et laisse entendre la douce voix lyrique qui alternait chez lui avec la voix de la tension passionnée et de l'extase tragique. Les figures féminines qui ont traversé la vie et l'oeuvre du poète sont toutes convoquées : Maud Gonne qui lui donna Jamais ne donnez tout le coeur et Ô n'aimez pas trop longtemps et sa fille Iseult, qu'il demanda aussi, avec le même insuccès, en mariage, et pour laquelle il écrivit À une jeune fille et Deux ans plus tard ; Anne Gregory dont un poème porte, en l'honneur de ses « blonds cheveux », le prénom et le nom, sans oublier Margot Ruddock, une jeune actrice et poétesse qui lui inspira la légendaire Douce danseuse devenue folle et qui fut internée après avoir dansé seule, prise de délire, sur une plage près de Barcelone.
Des sonnets, ballades, chansons d'un poète majeur du Dolce Stil Novo, que Dante appelait « le premier de ses amis ». Dans sa célèbre chanson Donna me prega, Cavalcanti développe les idées de cette école sur l'origine, les vertus et les manifestations de l'Amour en s'inspirant des définitions de l'amour courtois élaborées à partir d'Ovide et répandues par les poètes occitans. Cette quête de Beauté procède néanmoins d'un élan lyrique, d'émotions profondes et d'une vision extasiée qui se dilue dans l'infini d'une contemplation mystique.
Qui est celle qui vient, que tous admirent.
Qui fait trembler de sa lumière l'air.
Et mène avec elle Amour, quand parler.
Nul homme ne peut, mais chacun soupire ?