A partir de ses enluminures et d'une sélection de textes tirés de La Divine Comédie, Jean-Luc Leguay invite le lecteur contemporain à traverser les trois mondes de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis et le sensibilise au chef-d'oeuvre de Dante.
Index par René Langumier
Dumas découvrit tôt à travers Walter Scott, Shakespeare, Schiller, puis les mémorialistes du passé et enfin Augustin Thierry, que l'histoire pouvait inspirer de grandes oeuvres littéraires. Il fut le romancier de l'histoire. C'est d'abord sous cet angle qu'il est présenté et étudié dans cette édition. Les notes qui accompagnent le texte des deux romans éclairent non seulement les personnages et les allusions historiques de Dumas, mais aussi les sources qui sont nombreuses et variées. Plus d'un lecteur découvrira avec surprise que si Dumas était un merveilleux conteur, il connaissait aussi fort bien l'histoire et que le fond de tableau des Trois Mousquetaires et de Vingt ans après n'est pas une brillante improvisation mais le résultat d'une mise au point sérieuse. Cette édition, présentée et annotée par Gilbert Sigaux, réunit autour des deux célèbres romans de Dumas, une préface où le «cas» Maquet est étudié, une chronologie détaillée de la vie et des oeuvres de Dumas, des notes nombreuses et une bibliographie.
Crime et châtiment est le premier des cinq grands chefs-d'oeuvre qui rendront Dostoïevski immortel. Il ne l'écrivit qu'en 1865, mais il en avait eu la première idée douze ans plus tôt, alors qu'il était au bagne. Il songeait alors à un roman dans lequel un de ces êtres forts, dont l'existence l'étonnait, qui ignorent les bornes du bien et du mal, écrirait sa confession.
On sait que Dostoïevski, condamné à mort, fut grâcié et fit quatre ans de bagne. Cette terrible expérience, si elle eut une influence sur toute son oeuvre, n'est jamais aussi manifeste que dans les textes qu'on a réunis dans ce volume. On y trouvera, en effet, outre Crime et châtiment : le Journal de Raskolnikov, Les Carnets de Crime et châtiment et Souvenirs de la Maison des Morts, ouvrage que Tolstoï qualifiait de «plus beau livre de toute la littérature nouvelle, Pouchkine inclus».
Dans Les Frères Karamazov, Dostoïevski a donné le résumé de sa carrière et de sa pensée. On y retrouve l'opposition père et fils de L'Adolescent, le duel de l'athéisme et de la sainteté des Possédés, le schéma de L'Idiot, avec le crime à la base et l'entrevue dramatique des deux rivales ; enfin et surtout l'un des frères, Aliocha, est la reprise du prince Mychkine : il s'appelait «l'Idiot» dans Ies brouillons. Il semble même que Dostoïevski ait voulu exprimer dans les trois frères les trois aspects de sa personnalité ou les trois étapes de sa vie : Dimitri le schillérien rappelle sa période romantique, terminée aussi par le bagne ; Ivan, les années où il était près de remplacer la foi chrétienne par le socialisme athée ; Aliocha, son aboutissement, le retour au peuple russe et à l'orthodoxie. Sous quelque angle qu'on les considère, Les Frères Karamazov sont un microcosme aux richesses inépuisables, le chef-d'oeuvre peut-être de Dostoïevski.
.
«Il n'est peut-être pas le plus grand, mais l'un des plus grands. Il peut encore défendre son titre de champion du monde, et je ne vois personne, dans la génération actuelle, qui puisse le lui ravir. Il est notre Byron, le héros couvert de gloire, couvert de femmes, couvert d'argent... Nous ne sommes pas les derniers, en France, à l'avoir aimé. Nous avions des raisons pour cela. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, nous avions accueilli un jeune Américain pauvre et déjà père de famille, qui se promenait dans nos rues et le long de notre fleuve, s'arrêtait dans nos bistrots pour y boire notre vin et écrivait dans des cahiers d'écolier des histoires de soldats et de chasseurs. Il allait au Musée du Luxembourg pour apprendre de nos peintres, M. Cézanne et M. Degas, à dire la chose vraie. À Paris, Hemingway a vécu, aimé, écrit. Il n'a pas oublié sa dette envers notre ville et il lui a élevé un temple dédié au souvenir et au bonheur enfui : Paris est une fête. On trouvera ce texte dans le premier volume des Oeuvres complètes de Hemingway. On y trouvera aussi Le Soleil se lève aussi, d'un accent si neuf, si souvent imité depuis, et L'Adieu aux armes qui demeure, comme l'a dit Malraux, le plus beau roman d'amour de la littérature moderne. La qualité des traductions de ces textes, dues à M. E. Coindreau, n'est plus à louer. On trouvera enfin, avec les nouvelles charmantes du cycle de Nick Adams qui nous donnent un portrait de l'auteur à dix-huit ans, quand il chassait et pêchait dans les forêts du Michigan, paradis perdu de son enfance, un texte jusqu'alors inédit en français : Torrents de printemps, amusante satire de certains maîtres que l'écrivain avait admirés et qu'il pastichait : ainsi un jeune homme qui pressent son génie signifie à ceux à qui il doit le plus son désir d'émancipation : c'est Barrès devant Renan, Montherlant devant Barrès, Hemingway devant Sherwood Anderson... Hemingway est le premier écrivain étranger contemporain à figurer dans le Panthéon de la Pléiade. Un jour, il faudra qu'une plaque soit apposée au coin de l'une de ces petites rues de la Montagne Sainte-Geneviève qu'Ernest Hemingway, romancier américain, 1899-1961, a si souvent parcourues. En attendant cet hommage municipal, voici un petit monument fait de papier bible, d'encre, de cuir et de colle, auquel les meilleurs esprits et les meilleurs ouvriers ont collaboré - le plus beau monument qu'un écrivain puisse souhaiter.» Michel Mohrt, 1966.
«Si Giono (1895-1970) a passé sa vie en Provence, son oeuvre dépasse le Midi : les paysages et les êtres qu'il fait vivre sont aussi ceux des Alpes et de l'Italie. Du panthéisme optimiste et lumineux de ses débuts à l'engagement pacifiste d'avant 1939, aux épopées de sa maturité, aux narrations complexes et denses de ses noires Chroniques, à la sérénité conquise et à l'humour des dernières années, ce grand romancier généreux fut un inventeur sensible et sensuel de personnages, d'atmosphères, d'images, un poète bouillonnant mais un observateur minutieux, fabulateur dans sa vie et créateur toujours renouvelé dans ses styles et sa narration, robuste et effervescent.» Pierre Citron.
D'Oscar Wilde on retient surtout l'esprit fulgurant, les provocations, certains paradoxes, un roman (Le Portrait de Dorian Gray), quelques pièces de théâtre, enfin (surtout ?), sa condamnation aux travaux forcés pour pratiques homosexuelles. Wilde a longtemps pâti de son extraordinaire souci de créer sa propre légende, d'être non pas un créateur de fictions, mais une fiction vivante, et aussi du caractère spectaculaire de sa chute : passé de l'astre au désastre, l'élégant causeur dont les comédies triomphaient sur les scènes de Londres devenait brutalement un faussaire démasqué et un imposteur. Pour avoir voulu faire semblant d'être un homme honnête, il se trouva implicitement accusé d'avoir fait semblant d'être un écrivain. Le public d'aujourd'hui, soumis à un discours moins ou autrement normatif, voit plutôt en lui une victime de l'hypocrisie victorienne. Et l'écrivain de devenir une cause à défendre. Proposant des traductions nouvelles, regroupant la poésie, les contes et histoires, Dorian Gray, De profundis, les essais critiques (méconnus) et le théâtre, ce volume permet enfin à l'Oeuvre de se dégager en tant que telle, dans sa cohérence comme dans ses contradictions, au-delà de ce qu'on a longtemps perçu comme un brillant recueil d'épigrammes.
«Paul Éluard (1895-1952) est avant tout le poète de ce qu'André Breton appelle les vastes, les singuliers, les brusques, les profonds, les splendides, les déchirants mouvements du coeur. Dans les années 1940, sous une forme d'abord hermétique puis de plus en plus transparente, s'affirme une veine autre, poésie de la Résistance et de la plus large communauté humaine, qui n'annule cependant jamais l'incantation amoureuse. Tout ce parcours est jalonné de textes en prose où s'affirment au fil des années des préoccupations ininterrompues sur la nature de la poésie comme sur ses modes à travers réflexions et citations sur l'art en général et surtout sur l'apport des peintres qu'il aime et qui savent si bien donner à voir». Marguerite Bonnet.
Respecter une oeuvre longtemps malmenée, et par là renouveler l'image de Casanova ; faire en sorte que l'on considère l'écrivain et non plus seulement l'aventurier, et pour cela établir enfin une édition respectueuse du manuscrit avec lequel se confond l'Histoire de ma vie : tel est le projet de cette entreprise, aujourd'hui achevée. Le texte est scrupuleusement transcrit ; la langue propre à Casanova, respectée en tout point ; les repentirs de l'écrivain, lisibles au bas des pages, comme les notes qui fournissent la «traduction» des mots ou des passages susceptibles de faire difficulté. Au texte d'Histoire de ma vie s'ajoutent d'importants appendices, qui proposent pour l'essentiel des écrits de l'auteur, mais aussi le témoignage de quelques-uns de ses contemporains, qui l'ont connu, lu, aimé, ou qu'il a marqués, durablement.
Le premier volume de cette édition retraçait la jeunesse vénitienne - le «bel âge» -, jusqu'à l'évasion de la prison des Plombs. Voici Casanova exilé. Il a trente-deux ans. On le retrouve à Paris, «en devoir de faire fortune». Les années 1757-1763 (t. II de notre édition) sont fastes. Naviguant dans les coulisses du pouvoir, opulent, éblouissant, Casanova roule carrosse. Mais une fabrique de toiles peintes le ruine. Son goût pour la magie, la cabale, l'alchimie lui vaut des succès qui tourneront à l'aigre. Affaires, plaisirs, fuites parfois : il voyage dans l'Europe de la guerre de Sept Ans, manque être enrôlé comme soldat, se jette dans un couvent, aspire un temps à une vie retirée, puis s'élance à la poursuite d'une belle amazone. Les longues fiançailles avec Manon Balletti restent sans suite. Le mariage est «le tombeau de l'amour». Casanova commence à se déclarer «libertin».
En 1763 (t. III de notre édition), il est à Londres. Une syphilis le met en danger de mort. Vient le temps des longs voyages : Allemagne, Russie, Pologne, Espagne. La politique européenne le passionne. Il tente en vain de plaire aux souverains. Déceptions, errances, dettes. Quelques jolies passions encore, mais aussi de vilaines «galanteries». À mesure que le récit avance, le passage du temps se fait plus sensible. L'heure des bilans est venue. La maturité dépossède Casanova de sa véritable nature. Il a quarante-sept ans déjà, un «âge méprisé de la fortune». Il se rapproche de Venise.
L'Histoire de ma vie s'interrompt à la date de 1774, à la veille de son retour. Inachèvement accidentel, ou volonté de ne pas raconter la fin? À Venise, désormais, Casanova est un indicateur aux services des inquisiteurs. Pouvait-il investir les années 1774-1798 (date de sa mort) d'un désir qui était lié à l'énergie et à la séduction? Il revient sur l'ensemble de son histoire, lui donne un nouveau titre, Histoire de ma vie jusqu'à l'an 1797, mais n'en prolonge pas le récit. Dans la préface qu'il écrit alors, c'est de ses «folies de jeunesse» que le lecteur est invité à se réjouir avec lui.
Ces trois romans qui n'en font presque qu'un seul peuvent à plus d'un titre être tenus pour une oeuvre importante. En choisissant d'évoquer à sa manière ce qu'il avait vu et ce qu'il avait vécu dans l'Allemagne de 1944-1945, nul doute que Céline n'ait été conscient d'être l'un des seuls que sa sensibilité, son imagination et son style mettaient à même de donner une existence littéraire à cette apocalypse.
Le deuxième volume des Oeuvres romanesques de Hemingway contient la suite, à partir de 1935, de la vaste autobiographie romancée qu'il avait commencée en 1922 avec les nouvelles du cycle de Nick Adams. On y trouve donc : Les Vertes Collines d'Afrique, En avoir ou pas, Pour qui sonne le glas, Au-delà du fleuve et sous les arbres et Le Vieil Homme et la Mer. Mais à ces romans on a ajouté, pour nuancer et compléter cette autobiographie, des textes de Hemingway qui n'avaient jamais encore été traduits en français, ni même réunis en volume : plusieurs nouvelles, ses reportages de la Seconde Guerre mondiale, deux fables pour enfants et deux poèmes à Mary où s'entrelacent ses thèmes habituels de l'amour et de la guerre.
«Si Giono (1895-1970) a passé sa vie en Provence, son oeuvre dépasse le Midi : les paysages et les êtres qu'il fait vivre sont aussi ceux des Alpes et de l'Italie. Du panthéisme optimiste et lumineux de ses débuts à l'engagement pacifiste d'avant 1939, aux épopées de sa maturité, aux narrations complexes et denses de ses noires "Chroniques", à la sérénité conquise et à l'humour des dernières années, ce grand romancier généreux fut un inventeur sensible et sensuel de personnages, d'atmosphères, d'images, un poète bouillonnant mais un observateur minutieux, fabulateur dans sa vie et créateur toujours renouvelé dans ses styles et sa narration, "robuste et effervescent".» Pierre Citron.
«Tout parle chez Hugo et tout est verbal ; rien n'est hors du langage. Nous avons noté l'importance de ce thème des langages multiples dans son oeuvre et, aussi, cette façon qu'ont ses oeuvres de composer ensemble un univers équivalent à l'autre univers et se confondant avec lui. Tel est l'effet de cette recherche du texte total que, si le livre s'assimile au monde, le monde s'assimile au livre. Le langage renvoie à cet univers qu'il manifeste, mais cet univers est tout entier, de part en part, verbal. Ainsi, Hugo est bien l'anti- et l'anté-Mallarmé, puisqu'il assigne comme fonction au langage poétique de refléter la réalité extérieure ; mais il conduit à Mallarmé, puisque cette réalité extérieure et transcendante parle et ne se donne jamais que comme langage. Le livre hugolien aboutit à tout, mais tout aboutit au livre. Mais Dieu? Peut-être sa transcendance n'est-elle que cette incessante différence qui permet au langage de se produire sans arrêt. Et le texte hugolien tend à être infini. Il est la présence du monde à lui-même, mais une présence jamais assez totale, toujours poursuivie et qui ne cesse de se proférer. Mais l'auteur? Certes, il s'affirme dans la souveraineté de son moi, dans la superbe de son ego ; il est l'auteur au point d'en arriver à être le créateur du Créateur lui-même. Mais, en même temps, il n'est que son propre texte et son énormité est l'effet de ce texte total : il est la voix où parlent toutes les voix. Il est, comme son texte, le flux de toutes les voix. Le texte hugolien est plein, mais en mouvement perpétuel. Il est le passage de tous les langages. Il suffit d'écouter d'un peu loin, de façon à brouiller le message, en dépit de son insistante clarté ; alors, on n'entend plus qu'un murmure immense, un bruissement à l'infini ; c'est un tourbillon de langages, c'est Babel, étourdissante, exaltante, jubilante, c'est, vague sur vague, sans fin, l'océan de tous les langages qui constituent l'humanité, l'histoire et la nature, inanité et plénitude sonore.» Pierre Albouy.
«Paul Éluard (1895-1952) est avant tout le poète de ce qu'André Breton appelle "les vastes, les singuliers, les brusques, les profonds, les splendides, les déchirants mouvements du coeur". Dans les années 1940, sous une forme d'abord hermétique puis de plus en plus transparente, s'affirme une veine autre, poésie de la Résistance et de la plus large communauté humaine, qui n'annule cependant jamais l'incantation amoureuse. Tout ce parcours est jalonné de textes en prose où s'affirment au fil des années des préoccupations "ininterrompues" sur la nature de la poésie comme sur ses modes à travers réflexions et citations sur l'art en général et surtout sur l'apport des peintres qu'il aime et qui savent si bien "donner à voir"».
Marguerite Bonnet.
«Dickens (1812-1870) sut se forger, en utilisant ses souffrances d'enfant pauvre et négligé, une volonté de fer ; mise au service de son génie, elle lui permit de s'élever promptement à la gloire et à la fortune. Ses quinze romans n'absorbèrent qu'une part de son énergie prodigieuse, mais un siècle et demi de lecture et de critique n'en ont pas épuisé les richesses artistiques. C'est dans David Copperfiled, centre d'une oeuvre en constante recherche et où se côtoient avec bonheur l'humour et le pathétique, que Dickens s'est peint le plus directement.» Sylvère Monod.
«Tout parle chez Hugo et tout est verbal ; rien n'est hors du langage. Nous avons noté l'importance de ce thème des langages multiples dans son oeuvre et, aussi, cette façon qu'ont ses oeuvres de composer ensemble un univers équivalent à l'autre univers et se confondant avec lui. Tel est l'effet de cette recherche du texte total que, si le livre s'assimile au monde, le monde s'assimile au livre. Le langage renvoie à cet univers qu'il manifeste, mais cet univers est tout entier, de part en part, verbal. Ainsi, Hugo est bien l'anti- et l'anté-Mallarmé, puisqu'il assigne comme fonction au langage poétique de refléter la réalité extérieure ; mais il conduit à Mallarmé, puisque cette réalité extérieure et transcendante parle et ne se donne jamais que comme langage. Le livre hugolien aboutit à tout, mais tout aboutit au livre. Mais Dieu ? Peut-être sa transcendance n'est-elle que cette incessante différence qui permet au langage de se produire sans arrêt. Et le texte hugolien tend à être infini. Il est la présence du monde à lui-même, mais une présence jamais assez totale, toujours poursuivie et qui ne cesse de se proférer. Mais l'auteur ? Certes, il s'affirme dans la souveraineté de son moi, dans la superbe de son ego ; il est l'auteur au point d'en arriver à être le créateur du Créateur lui-même. Mais, en même temps, il n'est que son propre texte et son énormité est l'effet de ce texte total : il est la voix où parlent toutes les voix. Il est, comme son texte, le flux de toutes les voix. Le texte hugolien est plein, mais en mouvement perpétuel. Il est le passage de tous les langages. Il suffit d'écouter d'un peu loin, de façon à brouiller le message, en dépit de son insistante clarté ; alors, on n'entend plus qu'un murmure immense, un bruissement à l'infini ; c'est un tourbillon de langages, c'est Babel, étourdissante, exaltante, jubilante, c'est, vague sur vague, sans fin, l'océan de tous les langages qui constituent l'humanité, l'histoire et la nature, inanité et plénitude sonore.» Pierre Albouy.
«Exprimer l'humanité dans une espèce d'oeuvre cyclique ; la peindre successivement et simultanément sous tous ses aspects, histoire, fable, philosophie, religion, science, lesquels se résument en un seul et immense mouvement d'ascension vers la lumière ; faire apparaître, dans une sorte de miroir sombre et clair - que l'interruption naturelle des travaux terrestres brisera probablement avant qu'il ait la dimension rêvée par l'auteur - cette grande figure une et multiple, lugubre et rayonnante, fatale et sacrée, l'Homme ; voilà de quelle pensée, de quelle ambition, si l'on veut, est sortie La Légende des Siècles. [...] Comme on le verra, l'auteur, en racontant le genre humain, ne l'isole pas de son entourage terrestre. Il mêle quelquefois à l'homme, il heurte à l'âme humaine, afin de lui faire rendre son véritable son, ces êtres différents de l'homme que nous nommons bêtes, choses, nature morte, et qui remplissent on ne sait quelles fonctions fatales dans l'équilibre vertigineux de la création. Tel est ce livre. L'auteur l'offre au public sans rien se dissimuler de sa profonde insuffisance. C'est une tentative vers l'idéal. Rien de plus. Ce dernier mot a besoin peut-être d'être expliqué. Plus tard, nous le croyons, lorsque plusieurs autres parties de ce livre auront été publiées, on apercevra le lien qui, dans la conception de l'auteur, rattache La Légende des Siècles à deux autres poëmes, presque terminés à cette heure, et qui en sont, l'un le dénoûment, l'autre le couronnement ;La Fin de Satan, et Dieu. [...] L'épanouissement du genre humain de siècle en siècle, l'homme montant des ténèbres à l'idéal, la transfiguration paradisiaque de l'enfer terrestre, l'éclosion lente et suprême de la liberté, droit pour cette vie, responsabilité pour l'autre ; une espèce d'hymne religieux à mille strophes, ayant dans ses entrailles une foi profonde et sur son sommet une haute prière ; le drame de la création éclairé par le visage du créateur, voilà ce que sera, terminé, ce poëme dans son ensemble ; si Dieu, maître des existences humaines, y consent.» Victor Hugo, Hauteville-House, septembre 1859.
Nicolas Nickleby appartient, comme on le devinera aisément, à la jeunesse de son auteur. C'est au printemps de 1838, Olivier Twist n'en étant encore qu'à mi-chemin, que Dickens fait paraître la première livraison mensuelle de Nickleby sans avoir le moindre bout de manuscrit d'avance, ni se faire une idée bien claire - si ce n'est pour le point de départ - du second des deux considérables romans qu'il va mener de front. Les contes qui terminent ce volume s'échelonnent de 1843 à 1848 et nous retrouvons en eux ceux que nous lisions dans notre enfance, habillés de rouge par Hachette, sous le titre de Contes de Noël.
«Pour la première fois en France, la Pléiade réunit en un volume toutes les oeuvres littéraires et théâtrales de Gogol et, parmi le reste de ses écrits, tout ce qui est essentiel pour suivre ou illustrer l'évolution si singulière de l'auteur - de la satire à l'apostolat et du rire au mysticisme - et pour en mettre en évidence la continuité, sans recourir nécessairement ou uniquement à des interprétations pathologiques, apocalyptiques ou gratuitement psychanalytiques. Gogol, en tant que père de la nouvelle, du roman et du théâtre russes tels qu'ils se sont imposés après lui dans la littérature universelle, est assez bien connu par de nombreuses traductions (entre lesquelles on n'a eu que la peine de choisir quand on n'a pas eu recours, notamment pour le cycle ukrainien, à des traductions nouvelles). Le Gogol seconde manière, celui du grand dessein, avec ses ambitions religieuses de réformateur moral de son pays, est beaucoup moins connu : ce sont des traductions inédites que celles des Passages choisis de ma correspondance et de la Confession d'un auteur par José Johannet. Entre ces deux Gogol de style si différent, il y a une profonde mais émouvante unité : c'est elle qui ressort, d'une étape à l'autre, de la composition chronologique et progressive de ce volume. Pour l'illustrer, on s'est référé avant tout au témoignage de l'auteur lui-même dans ses lettres privées, accessoirement au témoignage de ses contemporains, par d'abondantes citations pour lesquelles ont été, à dessein, largement développées la Chronologie et les Notes. C'est ainsi un portrait global et mobile de l'homme et de son oeuvre - rigoureusement inséparables dans son cas, ou plutôt de plus en plus étroitement liés jusqu'au drame final qui les sépare, - une véritable somme du phénomène Gogol, qu'offre ce volume.» Michel Aucouturier, 1966.
«Hérodote est le père de l'histoire, on l'a dit et répété depuis Cicéron, et on doit encore en convenir. Mais on sait aussi qu'il est plus d'une façon d'écrire l'histoire, et toute l'historiographie de l'Antiquité se laisse assez facilement répartir en deux grandes tendances remontant à Hérodote et Thucydide. Cosmopolite, accusé par Plutarque de sympathie pour les barbares, enquêteur d'une inlassable curiosité, moins étroitement intéressé à la seule histoire politique, Hérodote est revenu à la mode. Hautain, sûr de l'éternité de son oeuvre coulée dans l'airain d'une langue superbe, Thucydide garde ses fidèles. On a découvert qu'il avait lui aussi ses passions, ses partis pris ; sans doute y a-t-il gagné de devenir plus proche, plus vivant, sans cesser d'être grand.»Jean-Louis Ferrary.