Issu d'une famille d'origine juive espagnole, Elias Canetti est né en 1905 à Roustchouk, ville de Bulgarie qui était alors un creuset de langues et de cultures. C'est à Vienne et à Zurich, où il passe l'essentiel de sa jeunesse, qu'il apprend l'allemand, cinquième langue de sa vie après le ladino, le bulgare, l'anglais et le français. C'est l'idiome décisif dans lequel le jeune écrivain choisit de bâtir son oeuvre.
À 25 ans, il écrit Auto-da-fé, son unique roman qui passe quasiment inaperçu lors de sa publication en 1935 et sera considéré plus tard comme un chef-d'oeuvre de la littérature du XXe siècle. Livre abyssal, Auto-da-fé est une collection d'échantillons de la folie et de la mesquinerie du microcosme viennois qui se reflète dans la grande tragédie vers laquelle se dirige alors le monde.
L'arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne eut une incidence sur toute la suite de l'oeuvre de Canetti. Au moment de l'Anschluss, en 1938, l'écrivain prit le chemin de l'exil et s'installa à Londres.
Dès les années trente et pendant plus de vingt ans, Canetti se consacra à la composition de Masse et puissance. Cette oeuvre inclassable, mélange titanesque d'anthropologie, de psychologie sociale, de philosophie et de sociologie vise à éclairer les rapports entre puissance et phénomènes de meutes ou de masses. Masse et puissance est à la fois une réflexion sur le pouvoir et son lien avec la mort et sur la capacité humaine de faire communauté.
En vérité, la passion de Canetti pour la vie n'eut d'égale que son aversion pour la mort, qu'il considéra toujours comme le scandale absolu. Nombre de ses réflexions à ce propos figurent dans ses milliers de « Notes » dont il disait qu'elles étaient le fruit d'« un étrange mariage entre Pascal et Lichtenberg », ses deux grands maîtres dans le genre aphoristique.
La célébrité internationale de Canetti arriva sur le tard, avec la publication des volumes de son autobiographie. Le prix Nobel de littérature lui fut décerné en 1981 pour son oeuvre marquée « par l'ampleur de sa vision, la richesse de ses idées et sa puissance artistique ».
En proposant des approches diversifiées de cette grande figure de la culture européenne, ce numéro d'Europe permet aussi d'éclairer les rapports de Canetti avec d'autres « phares » de la pensée et de la création contemporaines, de Franz Kafka à Robert Musil, de Nietzsche à Freud, de Walter Benjamin à Theodor W. Adorno.
Franz HAAS : Le génie et la morsure du doute.
Roberto CALASSO : Assis dans ce café.
Claudio MAGRIS : Décréditer la mort.
Dominique EDDÉ : La profondeur immédiate de Canetti.
Irene BOOSE : Auto-da-fé, la comédie du savoir.
Christophe DAVID : Canetti - Kafka - Canetti.
Frédéric MÉNAGER : Elias Canetti et Walter Benjamin.
Dorian ASTOR : « Je l'inspire avec orgueil et l'expire avec mépris.
[Sur Canetti et Nietzsche].
Florence VATAN : Présences animales. [Sur Canetti et Robert Musil].
Olivier AGARD : L'anthropologie politique d'Elias Canetti.
Claire PAGÈS : Réflexions croisées sur les ressorts de la puissance [Canetti et Freud].
Stéphanie BAUMANN : Masse et puissance au crible de la Théorie critique.
[Sur Canetti et Adorno] Gerald STIEG : Elias Canetti et Ernst Fischer.
Martine LEIBOVICI. En tant que, mais pas que. Comment Canetti est-il juif ?
Nicolas POIRIER : Les métamorphoses et la pensée mosaïque.
Christine MEYER : Elias Canetti et la génération « Chamisso ».