« Je suis Personne », écrivait Emily Dickinson (1830-1886), reprenant à son compte le mot d'Ulysse. On serait presque tenté de la croire, tant son existence aura été banale, dépourvue de toute péripétie. De son vivant, elle ne publia que dix poèmes, qui passèrent inaperçus. La recluse volontaire d'Amherst (Massachusetts) ne fut pas même une autrice exceptionnellement précoce. Le plus ancien poème d'elle qui nous soit parvenu date de sa vingtième année. Rien de significatif, semble-t-il, rien qui donne prise sur son oeuvre dans cette existence menée dans une solitude existentielle que la poésie seule transfigura. Et quelle poésie ! Car cette femme discrète, effacée, bâtit une oeuvre considérable, immense, dont les résonances ne cessent de s'affirmer et de s'étendre. Nombreux sont les poèmes - ou au moins les vers - qui sont passés dans la culture populaire états-unienne et même universelle.
Rien de secret donc chez celle qui est généralement considérée comme la fondatrice - avec Walt Whitman - de la poésie moderne anglophone. Ce qui n'empêche pas que tout, dans son oeuvre, ait sa part d'insondable mystère. Un mystère qui se confond avec ceux de l'univers aussi bien que de l'existence humaine. De l'héritage romantique, elle avait gardé une confiance dans la capacité de la poésie à se confronter efficacement aux apories de la foi traditionnelle. Le moi et le monde, saisis par un esprit subtil et une langue d'une étonnante richesse, se dévoilent, révèlent leurs secrets les plus intimes. La confrontation de l'éphémère et du pérenne, en particulier, est au coeur de nombre de ses poèmes, souvent avec une lucidité sans complaisance. « J'aime mieux me souvenir d'un Couchant / Que jouir d'une Aurore », écrivait Emily Dickinson. À la lecture des textes réunis dans ce numéro d'Europe, on constatera pourtant que l'oeuvre admirable de cette figure décisive de notre modernité annonçait la poésie qui suivit. Et celle qui viendra, sans aucun doute.
Textes de Pierre Vinclair, François Heusbourg, Edward Sapir, Adrienne Rich, Laurent Albarracin, Françoise Delphy, Richard Wilbur, Cécile Roudeau, Guillaume Condello, Antoine Cazé, Stéphane Bouquet, Aurélie Foglia, Andrew Zawacki, Patrick Reumaux, Isabelle Garron, Liliane Giraudon, Murièle Camac, Victor Rassov.
EMILY DICKINSON.
Pierre VINCLAIR : Emily Dickinson plus proche et plus distante.
François HEUSBOURG : Le lieu qu'on appelle « le matin ».
Edward SAPIR: Une primitive.
Adrienne RICH : Le Vésuve au sein d'une maison.
Laurent ALBARRACIN : Emily absolument.
Françoise DELPHY : Nourritures terrestres et nourritures symboliques.
Richard WILBUR : Somptueux dénuement.
Cécile ROUDEAU : Emily Dickinson, à perte de monde.
Guillaume CONDELLO : Une poète à demi fêlée.
Antoine CAZÉ : Découdre les cieux.
Stéphane BOUQUET : Un paradis, des paradis, du paradis.
Aurélie FOGLIA : Emily Dickinson, dite personne.
Andrew ZAWACKI : Une rencontre à distance.
Patrick REUMAUX : « Je suis petite comme le roitelet ».
Isabelle GARRON : Les tirets d'Emily.
Pierre VINCLAIR : La vision du poème.
Liliane GIRAUDON : « Ponctuation Dickinson ».
Murièle CAMAC : Je lis des poèmes d'Emily Dickinson.
Victor RASSOV : À Emily Dickinson.